Le 2ème Salon du livre d'Albert et du Pays du Coquelicot (80) organisé par le réseau intercommunal des bibliothèques, s'est déroulé les 19 et 20 octobre 2013. Une trentaine d'auteurs en dédicaces (littératures contemporaines, jeunesse, bande dessinée), des expositions, des ateliers et spectacles, des débats... ont drainé un public nombreux dans une ambiance conviviale, tout au long du week-end.
Durant ce salon, j'ai eu le plaisir d'animer une table ronde sur le thème : "Quelles créations et diffusions littéraires à l'heure du numérique ?" aux côtés de Françoise Prêtre (La Souris qui raconte) et Fabien Vehlmann (Professeur Cyclope) -> Article ICI
J'ai également eu l'occasion de rencontrer les auteurs de littérature afin d'échanger à propos de leurs dernières parutions. Ces moments, au cours desquels ils livrent leurs intentions, évoquent le processus créatif, les personnages dont le destin leur échappe, la mémoire qui se mêle à la fiction (ou l'inverse !)... sont chaque fois passionnants. La parole de l'écrivain enrichit le livre, systématiquement.
Évelyne Bloch-Dano est ainsi venue présenter Porte de Champerret (Ed. Grasset), un récit autobiographique très sensible dans lequel elle évoque sa famille et les années 50 dans le quartier de son enfance, à la lisière de Paris.
Un récit centré sur la mémoire qu'elle sollicite au moment où sa mère, atteinte de la maladie d'Alzheimer, perd la sienne. Il va falloir se séparer de l'appartement familial dans lequel flotte toujours "un halo de bonheur". L'écriture est sûrement, pour Evelyne Bloch-Dano, le moyen d'y parvenir enfin.
Dans Porte de Champerret, l'auteur aborde avec élégance la question du souvenir et celle du silence, choisi par ses parents juifs après l'horreur de la Shoah. Le propos de ce livre à l'écriture subtile, témoignage d'une intimité familiale, peut pourtant trouver un écho en chacune de nos vies.
"La nostalgie est une plante toxique qui croît naturellement avec les années, avec la perte, avec le souvenir, avec les mirages de la mémoire. Son amertume n'a d'égal que sa douceur."
Léo Lapointe nous a parlé de son sixième roman, Veuve Coquelicot (Ed. Krakoën), un polar dans le vignoble champenois. Une jeune journaliste indépendante, Salomé Jourdain, se rend à Reims afin de rédiger pour le journal national France Match, le portrait de Berthe Woettencourt, surnommée "La Veuve Coquelicot".
Héritière fortunée d'une grande maison de Champagne, celle-ci est au cœur d'un scandale politico-financier dont les noms rappellent étrangement ceux de l'affaire de "la vieille aux shampoings"... Son gendre, qui travaillait à la fabrication d'une nouvelle cuvée, vient d'être assassiné dans des conditions mystérieuses. "Quoi de plus révélateur du fonctionnement d'une société qu'un crime ?" interroge l'auteur.
Salomé se trouve entraînée (au péril de sa vie) dans une histoire qui la dépasse. Sur fond de rumeurs villageoises et de complaisances médiatiques, Léo Lapointe ne néglige ni la crédibilité de son intrigue, ni la saillie caustique !
Dans Mazurka (Ed. Mercure de France), Philippe Moreau-Sainz nous emmène à Varsovie où Agnès vient de séjourner avec son amie Roza. Alors qu’elle s’apprête à rentrer à Paris, Agnès se rend compte qu’elle a égaré son passeport.
Lorsqu’elle le récupère dans un hôtel, sur indication de l'ambassade, c’est bien sa photo qui y figure, mais le document est au nom de Wioletta Wlodarska, citoyenne polonaise… Agnès ne peut prendre l'avion du retour dans lequel a embarqué Roza : au-delà de l'énigme du passeport qu'il va falloir résoudre, la jeune femme se lance en quête d'elle-même, dans les rues d'une Varsovie qui recherche aussi, sa propre identité.
Dans ce roman très musical dont Philippe Moreau-Sainz compose, note après note, la partition, il est question d'états d'âme et de basculement. "Cette identité perdue ou volée, du moins en suspens, n'est plus à ce moment de la journée un fardeau. Elle est une curiosité, une énigme à déchiffrer. Agnès est ivre d'une dépossession involontaire." Il est question d'épreuves, de lâcher prise et de reconstruction. Intelligent et troublant.
Professeur d'Arts plastiques à l'Université de Picardie, Régis Goddyn nous livre cette année les deux premiers volumes d'une véritable épopée d'héroïc fantasy prévue en 7 tomes : Le sang des 7 Rois (Ed. L'Atalante).
Tout commence lorsque deux enfants sont enlevés dans le fief reculé de Hautterre. Le capitaine ambassadeur militaire Orville, qui a pour mission de retrouver la trace des ravisseurs, s'engage alors dans un long périple aux multiples rebondissements. C'est le début d'une aventure initiatique, pour lui comme pour le lecteur qui découvre au fil des pages une vérité parcellaire.
Régis Goddyn invente un monde médiéval où cohabitent deux catégories d'hommes : ceux qui ont le sang bleu et des pouvoirs étendus, et les simples humains au sang rouge. Dans sa société, l'organisation entre les différents groupes d'individus est de type féodal. Si le tome 1 permet naturellement de planter le décor, le ton se durcit dans le deuxième où la violence s'installe.
Le Sang des 7 Rois est une première expérience d'auteur qui impressionne par la construction du récit, l'imagination mise en œuvre et la qualité de l'écriture. Avant de se lancer en fantasy, Régis Goddyn a beaucoup lu les auteurs de ce genre dont Le Seigneur des anneaux est emblématique. Il en propose un échantillon abouti. À découvrir.
Dans son livre Gloire, galère, cancer, je paye la note ! (Ed. Pygmalion), Pascal Brunner évoque sans concessions un parcours atypique : ascension fulgurante et descente aux enfers.
"L'homme aux cent voix", tel que les médias l'avaient surnommé, a notamment animé jusqu'en 2000 l'émission Fa Si La, qui rassemblait jusqu'à 5 millions de téléspectateurs sur France 3, face au JT. Pourtant, alors qu'il était sous les feux de la rampe, ses addictions à l'alcool et au tabac l'entraînaient vers le pire : "J'étais devenu une sorte de copier/coller misérable et douloureux. Happé par je ne sais quelle tornade destructrice qui ne disait pas son nom."
En 2011, lorsque le couperet tombe, il n'éprouve aucun sentiment de révolte. Le temps est venu de "payer vingt-cinq ans de java". Il doit être opéré dès le lendemain d'un cancer de la gorge qui nécessite une greffe du palais. Sa convalescence durera au moins une année, au cours de laquelle il doit réapprendre à manger, à parler, soutenu par un personnel soignant auquel il rend hommage.
En parallèle de cette épreuve terrible, il y a la déchéance sociale. Il n'a plus ni ressources, ni couverture maladie. Il peut alors compter sur le soutien de sa sœur et du chanteur Gilbert Montagné, qui organise la solidarité.
Aujourd'hui, Pascal Brunner a toujours le sourire. "Car il y a un avant et un après cancer. Forcément. L'avant, c'est quand on était en bonne santé et qu'on n'avait aucune idée de posséder ce bien précieux. Et l'après – parce qu'il y en aura un ! - sera une sorte de course folle pour récupérer ce que j'ai perdu", dit-il. C'est tout le mal qu'on lui souhaite.
Dans Rendez-vous au Sourire d'avril (Ed. Presses de la Cité), Jacques Béal relate trois décennies de la vie du quartier Saint-Leu d'Amiens, qu'il connaît bien pour y avoir vécu. Des années 50 à la fin des années 70, son fil rouge est le personnage de Louise Bancquart qui tient le café éponyme - Au Sourire d'avril - lieu de rencontre incontournable pour les habitants.
Devenu aujourd'hui le coeur de la vie étudiante et touristique amiénoise, Saint-Leu est à l'époque un quartier où prospèrent à la fois une économie liée au textile (teinturerie Lemoigne, usine Cosserat) et des métiers d'art (sculpteurs sur bois, maîtres verriers...) liés à la présence de la cathédrale, "chantier jamais achevé".
Parmi les nombreux personnages que l'on y croise, l'auteur s'attache à nous décrire le destin de quatre enfants : Marc Boismont, Pierre Martin, Victor Lemoigne et Isabelle Lacmé. Entre traditions et modernité, c'est tout un pan de l'histoire locale qu'exhume Jacques Béal, avec ce livre que l'on peut apprécier sans même connaître Saint-Leu. -> Article à lire ICI
Isabel Asunsolo, Dominique Langlet et Françoise Danel sont venues présenter Le Rayon du bas (Ed. L'iroli), co-écrit avec Catherine Leguay-Tolleron, absente ce jour-là. Ce roman à quatre mains est l'aboutissement d'un atelier d'écriture au cours duquel chacune de nos quatre auteurs a pris en charge le destin d'un personnage, en lien avec la médiathèque de Belvais - ville qui existe presque ! - dans l'Oise.
Le thème central de cet ouvrage original, c'est la lecture qui joue un rôle important - durablement ou par accident - dans la vie des quatre héros. Dédié "aux lecteurs, aux bibliothécaires, aux libraires qui résistent", Le Rayon du bas est un ouvrage profondément ancré dans notre époque. Son processus d'écriture particulier n'enlève rien à son unité, les amoureux des livres s'y reconnaîtront. -> Article à lire ICI
Le Cercle de la Wyverne (Ed. Ravet-Anceau) d'Hervé Jovelin, marque le retour du détective Matéo Ambiani, alias le Colibri, (anti-)héros de son précédent roman. L'intrigue se situe à Amiens au moment de noël, sur fond d'insurrection sociale.
Une annonce vient de paraître dans le journal local : "Loue chiots de tous âges, de tous sexes, de toutes couleurs, de toutes races. Discrétion garantie". L'enquêteur, alcoolique notoire à la personnalité ambiguë, est intrigué par ce message qui le lance bientôt sur les traces de la Wyverne, une entreprise criminelle tentaculaire.
L'exploitation humaine, sujet de ce roman du genre noir (soit, inscrit dans une réalité sociale précise, porteur d'un discours critique, voire contestataire), est une porte d'entrée vers une multitude de thèmes très contemporains : Internet, la mondialisation, la publicité...
Les personnages du livre ne sont pas sans épaisseur psychologique, à commencer par Matéo, "dandy. Tenace, pugnace. Déstabilisant et agaçant". L'ouvrage est érudit. Lorsque l'auteur met la réalité au service de sa fiction, il ne le fait pas sans analyse, arguments, documentation. Une manière de procéder en lien avec sa formation d'historien ? Qui sait.
Selon Hervé Jovelin, les activités de la Wyverne reposent sur une théorie qui renvoie à Malthus : "il n'y avait que des riches et des pauvres et les pauvres étaient la matière première du plaisir des riches. […] La Wyverne affirmait simplement cette scission du monde en deux : ceux qui devaient servir et mourir pour ceux qui pouvaient opprimer et jouir." Malaise garanti. Déjà dérangeant, ce roman serait-il pourtant en deçà de la vérité ? C'est à craindre, malheureusement.
Habitué de l'écriture pour la jeunesse, Olivier Ka signe Un cœur noir (Ed. Plon), un roman à destination des adultes ou des grands ados dans lequel il est question, justement, de l'adolescence.
Melchior Duris, 17 ans, est soudeur dans une entreprise de portails métalliques. Mal dans sa peau, il tue le temps en trafiquant avec une bande de petits voyous. Un jour, pour rembourser une dette au caïd local, il entreprend de cambrioler une maison qu'il croit déserte mais il est surpris par François, propriétaire des lieux. Contre toute attente, ce dernier accepte de donner à Melchior les 500 € dont il a besoin, à condition qu'il revienne...
Dans une maison aux pouvoirs étranges, une relation amicale se noue entre les deux personnages. Elle va bouleverser la vie du jeune homme et le pousser à se poser enfin les vraies questions : "ça lui fait autant de mal que de bien. […] Comme s'il avait quitté une route bien droite, sur laquelle il avançait jusqu'à présent avec insouciance, pour s'engouffrer dans un labyrinthe."
Ce labyrinthe, c'est le chemin qui permet d'affronter sa part d'ombre - le fameux cœur noir - et de devenir soi en se débarrassant de ses modèles. Dans sa progression, le jeune homme peut compter sur plusieurs guides et un allié inattendu : le livre.
Olivier Ka s'est souvenu de l'adolescent qu'il a été en écrivant ce roman. L'épisode de la confrontation avec l'odieux patron, il l'a lui-même vécu. Cette épreuve lui a fait découvrir la lecture, un premier pas vers sa carrière d'auteur... À quelque chose malheur est bon.
Selon lui, l'adolescence est une période bouleversante mais très courte, à laquelle on fait pourtant référence toute sa vie. Qu'est-ce-que réussir sa vie, d'ailleurs ? "Ce n'est pas avoir une montre de prix à cinquante ans ! C'est, à mon avis, être toujours copain avec l'adolescent qu'on a été." Dont acte.
Retrouvailles avec Guillaume de Fonclare à Albert, pour évoquer Dans tes pas (Ed. Stock), récit poignant dans lequel il est question du suicide de son meilleur ami, Serge. Un drame survenu sans signe avant-coureur, sur son lieu de travail, alors qu'il avait quarante ans.
Entre colère, hypothèses et incompréhension, l'auteur prolonge dans ce livre le dialogue avec l'ami disparu. Lui-même victime de la maladie et prisonnier d'un corps qui le fuit, Guillaume de Fonclare s'engage chaque jour, dans la douleur, sur le chemin de Notre-Dame-des-Vignes. Des ombres chères surgissent autour de lui. Celle de Serge dont le mystère lui a en partie échappé, celle de son père dont le souvenir s'estompe.
Au-delà de l'émotion, Dans tes pas est un récit de vie. Celle qu'il faut saisir, avec application, dans les plus petits instants. Celle qu'il faut préserver sans relâche, quelles que soient les épreuves rencontrées en chemin. Notre auteur en sait décidément quelque chose. -> Article à lire ICI
Les matins translucides (Ed. Écriture), nouveau roman de Philippe Lacoche, commence au moment où son narrateur, Jérôme, journaliste "presque sexagénaire fatigué, résigné, mélancolique", retrouve un cahier d'écolier sur lequel il avait dessiné en 1968, à l'âge de 15 ans, un cœur percé d'une flèche avec le prénom "Delphine".
Cette madeleine de Proust l'incite à prendre la route. Il retourne en Picardie, dans la ville cheminote de l'Aisne où il a grandi et aimé Delphine, quarante ans plus tôt. Au-delà de la nostalgie, ce qui le pousse à revenir sur les traces du passé, c'est le besoin de comprendre.
À l'époque, la relation de Jérôme et Delphine fut contrariée par la présence d'un rival : Jean-Martin, personnage charismatique au visage barré par une cicatrice, féru de théâtre, cultivé et talentueux. Son point commun avec Jérôme ? Tous deux ont eu un oncle activement engagé dans la Résistance locale, pendant la guerre. Pourquoi celui de Jérôme, Charles, a-t-il fini sa vie reclus dans une hutte ?
Le poids du silence pèse sur l'histoire de Delphine, Jérôme et Jean-Martin, comme il a pesé sur les épaules de toute une génération : "nous n'avions pas de Dieu, peu de prêtres ; nous avions le cœur gros, gonflé par tout ce que nous ne comprenions pas, tout ce que les anciens ne nous avaient pas dit."
Dans ce livre qui sent bon "le charbon, la vapeur de train, le métal écorché, les betteraves concassées, la sueur des luttes ouvrières", Philippe Lacoche continue à explorer les thèmes qui lui sont chers : l'amour, la mémoire, le temps qui passe... et tout ce qu'il annule. Fidèle à ses personnages, à la musique des années 70, à sa Picardie natale - toile de fond sublimée - il reste avant tout un écrivain fidèle à ce qu'il est.
"Il nous tardait d'être adultes pour pouvoir emprunter ces trains fous, ces trains de l'aventure, et partir. On veut toujours partir quand on est jeune. Et quand on est vieux, on veut revenir. Revenir aux sources, au début. Faire machine arrière. Mais les trains font rarement marche arrière. Ils s'arrêtent, parfois, et on les laisse filer. Car tout au fond de nos cœurs, on a peur."
Le Dernier hiver de Victorine (Ed. Licorne) de Catherine Petit et Philippe Lacoche, est le fruit d'une démarche à la fois "journalistique, sociologique et poétique". Dans un quartier voué à disparaître, le quartier Victorine-Autier au sud-est d'Amiens, les deux auteurs, "archéologues du souvenir", sont allés à la rencontre des habitants pour recueillir leurs impressions et collecter leur parole.
Avant, et tout au long du processus de destruction des trois tours par "grignotage", décidé dans le cadre de la politique nationale de rénovation urbaine, ils ont pu constater l'ambivalence des sentiments de la population partagée entre le rejet d'un quartier difficile, et un fort attachement.
En plus de la parole des habitants, on entend dans ce livre celle des élus qui éclaire les décisions prises. Philippe Lacoche y propose en outre une nouvelle inédite Des vies en mars, qu'il situe au coeur de Victorine-Autier. Ouvrage inclassable, Le Dernier hiver de Victorine répond à un impératif, celui de laisser une trace. Pour qu'au-delà de la destruction, il reste quelque chose... -> Article à lire ICI