La Comédie de Picardie accueillait ce dimanche 10 novembre 2013 à Amiens, la dernière représentation de Entre les actes, mise en scène par Lisa Wurmser d'après le dernier roman de Virginia Woolf. C'est la première fois en France que cet ouvrage, achevé en 1941 peu avant le suicide de la femme de lettres anglaise, était adapté pour le théâtre.
Cette pièce nous transporte en Angleterre à la campagne, un jour d'été 1939, auprès de la famille Olivier. Comme chaque année, les villageois sont sur le point de se produire sur scène, conformément à la longue tradition anglo-saxonne des Pageants. Ces spectacles généralement joués en plein air par des amateurs, sont des reconstitutions historiques où alternent dialogues, commentaires, chants, musique...
La vigoureuse Miss La Trobe dirige les acteurs qui doivent retracer en plusieurs tableaux, l'histoire de l'Angleterre : origines, époques élisabéthaine et victorienne, et jusqu'à ce troublant "nous-mêmes" : "Que peut-elle savoir de nous-mêmes ? Les Élisabéthains, bien ; les Victoriens, peut-être ; mais nous-mêmes, assis ici un soir de juin, en 1939, c'est ridicule. « Moi-même », c'est impossible."
L'adaptation du roman de Virginia Woolf crée une habile mise en abyme : du théâtre dans le théâtre, à la manière de l'Hamlet de Shakespeare, justement évoqué dans Entre les actes. Plusieurs points de vue émergent alors : le nôtre en tant que spectateurs de la pièce de Lisa Wurmser, celui de l'auditoire du spectacle que jouent les villageois, celui de ces apprentis comédiens eux-mêmes, celui de Miss La Trobe qui les met en scène... Un jeu de miroirs à multiples facettes.
Bien entendu, le plus important ne concerne pas ce qui se produit sur scène mais entre les actes, pour des personnages tiraillés entre l'Histoire, le social et l'intime. Souvent aspirés par la routine et l'ennui. La guerre qui gronde en Europe semble encore un danger abstrait, sauf à Gilles Olivier qui en a saisi la menace.
Le théâtre des villageois où se mêlent amour, humour, ironie, voire grotesque... bouscule son auditoire. Les réactions des uns et des autres troublent la pièce que Miss La Trobe, exaspérée, rêverait sans public. Leurs vies en seront-elles durablement bouleversées ? Le quotidien va reprendre ses droits, en apparence du moins.
Isa Olivier, accablée par la relation conjugale et la distance avec celui qu'elle appelle "le père de mes enfants", se réfugie dans des rêveries poétiques ou littéraires. Son personnage est-il proche de Virginia Woolf, elle-même en proie à de terribles crises dépressives ? Certains ont cru voir dans ce souhait : "Puisse l’eau me recouvrir", une évocation prémonitoire du suicide de la romancière, qui s'est jetée dans une rivière.
Adapter un roman pour la scène n'est pas un exercice facile mais Lisa Wurmser a réussi à faire d'Entre les actes un bel objet théâtral. L'atmosphère festive des Pageants y est fort bien rendue, la musique est omniprésente et la douzaine d'acteurs ne boudent par leur plaisir. Le décor et les costumes, conçus en partenariat avec l'université des arts de Rochester (Grande-Bretagne) sont une vraie réussite. La pièce a été créée au mois de septembre dans le cadre du Festival Jardins en Scène.
"Cette voix, est-ce nous-mêmes ?
Des pièces, des fragments, des morceaux,
sommes-nous aussi cela ?"
Entre les actes, de Virginia Woolf
Adaptation et mise en scène : Lisa Wurmser
Comédiens et musiciens : Gérald Chatelain, Flore Lefebvre des Noëttes, Christian Lucas, Matthieu Marie, Luce Mouchel, Gilles Nicolas, Sandy Ouvrier, Bernadette Le Saché, Nicolas Struve et Christophe Pecqueur, Émilie Revel, Jérémy Scherjan-Torres
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