La Maison de la Culture accueillait ce jeudi 9 janvier 2014 la dernière représentation amiénoise de Britannicus, tragédie de Jean Racine, dans une mise en scène de Jean-Louis Martinelli.
Dans cette pièce jouée pour la première fois en 1669, le dramaturge s'empare de l'histoire romaine et de la prise de pouvoir de Néron qui régna sur l'Empire de 54 à 68. C'est sa mère, Agrippine, qui permit son couronnement après avoir empoisonné son mari, l'empereur Claudius, et écarté le jeune Britannicus du trône dont il devait hériter.
Lorsque la pièce commence, la règne de Néron, jusqu'alors exemplaire, est sur le point de basculer. L'empereur vient de faire enlever Junie (personnage issu de l'imagination de Racine), la fiancée de Britannicus, son frère adoptif. Il prétend en être follement épris.
Agrippine a perçu le changement d'attitude de son fils. Elle pressent le danger qui la menace et menace tout l'empire : [Agrippine] "Sur son trône avec lui j'allais prendre ma place : J'ignore quel conseil prépara ma disgrâce ; Quoi qu'il en soit, Néron, d'aussi loin qu'il me vit, Laissa sur son visage éclater son dépit. Mon cœur même en conçut un malheureux augure. L'ingrat, d'un faux respect colorant son injure, Se leva par avance ; et courant m'embrasser, Il m'écarta du trône où je m'allais placer. Depuis ce coup fatal le pouvoir d'Agrippine Vers sa chute à grands pas chaque jour s'achemine."
Les premiers pas de Néron dans la cruauté vont se manifester dans les sphères intime et publique. Racine a en effet l'art de montrer l'enchevêtrement des passions qui conduisent les hommes, jusque dans leurs actes politiques.
La question phare, dans le cas de Néron, est celle de l'émancipation. Le jeune empereur doit se défaire de l'emprise de sa mère qui s'exerce sur le plan affectif comme sur le plan politique : [Narcisse] "N'êtes−vous pas, Seigneur, votre maître et le sien ? Vous verrons−nous toujours trembler sous sa tutelle ? Vivez, régnez pour vous : c'est trop régner pour elle."
C'est leur relation qui est au centre de l'intrigue même si le personnage de Britannicus donne son nom à la pièce. Celui-ci - en tant que rival amoureux et politique de Néron - sert de catalyseur dans le déroulement des événements qui vont se nouer (et se dénouer) de manière dramatique.
Après avoir monté Andromaque en 2003 et Bérénice en 2006, Jean-Louis Martinelli propose une mise en scène classique et dépouillée de la deuxième tragédie de Racine. De hautes parois en demi-cercle pour symboliser les murs du palais, un plateau central rotatif comportant un impluvium romain, un fauteuil (attribut de pouvoir) que Néron déplace régulièrement sur scène : rien de plus pour le décor. Pas d'excentricité non plus dans les élégants costumes d'Ursula Patzak.
Le metteur en scène a choisi de ne rien entreprendre qui puisse éclipser l'intensité du texte de Racine. C'est résolument lui qui est à l'honneur sur scène. Un texte en vers (1768 alexandrins), à la fois poétique et exigeant pour les comédiens et pour le public de 2014. Il faut au spectateur quelques scènes pour "entrer" dans le langage de Racine et la rhétorique déployée par les personnages.
Le pouvoir des mots est saisissant dans cette pièce ; chacun des conseillers de Néron s'emploie à développer des arguments qui fassent plier l'empereur en sa faveur : [Agrippine] "J’ai parlé, tout a changé de face." Les différents discours sont ainsi à la source des revirements qui maintiennent le suspense jusqu'au bout de la tragédie.
En s'intéressant (pour la première fois) à l'histoire romaine et aux origines de la tyrannie de Néron, Britannicus faisait en son temps une allusion déguisée au pouvoir absolu de Louis XIV. Des siècles plus tard, la pièce de Racine a encore bien des choses à nous dire. C'est le propre des grands classiques qui traversent le temps.
Britannicus de Jean Racine
mise en scène : Jean-Louis Martinelli
avec Anne Benoît, Alain Fromager, Alban Guyon, Agathe Rouiller, Anne Suarez, Jean-Marie Winling, Abbès Zahmani
scénographie : Gilles Taschet
lumière : Jean-Marc Skatchko
costumes : Ursula Patzak
coiffures, maquillages : Françoise Chaumayrac
Du 22 au 25 janvier 2014 au TNT et du 1er au 8 février 2014 au Théâtre Nanterre-Amandiers
2 Place Léon Gontier - 80006 - AMIENS CÉDEX 1
Tél : 03 22 97 79 79 - Fax : 03 22 97 79 90
Ouverture mar au ven à 13h, week-end à partir de 14h
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