L'auteur de bande dessinée belge Jung était l'invité des "Lundis de l'égalité" le 17 février 2014 à l'espace Dewailly d'Amiens. L'association On a marché sur la Bulle dirigée par Pascal Mériaux, était une nouvelle fois partenaire de l'événement organisé par La Maison de l'Égalité.
Au coeur de cette soirée était Couleur de peau : miel (Ed. Quadrants), une bande dessinée autobiographique en trois tomes devenue un long-métrage co-réalisé par Jung et Laurent Boileau (sorti le 6 juin 2012). La projection du film qui a reçu de nombreux prix, l'inauguration de l'exposition dédiée et un échange avec l'auteur étaient prévus ce lundi.
Jung Sik-jun est né en 1965 à Séoul en Corée du sud. Il a été adopté en 1971 par une famille belge qui avait alors déjà quatre enfants. Son cas n'est pas isolé puisque depuis 1958, 200 000 Coréens ont été confiés à l'adoption, en majorité à des couples américains.
Après la guerre de Corée (1950-1953), de nombreux enfants se sont trouvés livrés à eux-mêmes, comme Jung. D'abord placé dans un orphelinat de la Holt Children's Services Inc., le "doux, gentle, and very nice pretty boy" est bientôt "recommandé pour l'adoption".
Le film et la BD dont il est adapté, correspondent au regard que porte Jung - narrateur de sa propre histoire - sur l'enfant et l'adolescent qu'il fut, et sur le chemin qui lui a permis d'accepter sa double identité. Un long chemin. Car pour le petit garçon de la banlieue de Bruxelles à qui l'on donne "une seconde vie, une seconde chance", l'intégration passe d'abord par le déni de ces origines dont il a honte : "inconsciemment, j'ai du rejeter ma langue, ma culture, pour pouvoir en absorber plus facilement une autre" explique-t-il.
Jung, très proche de ses frère et soeurs, devient en grandissant un enfant difficile qui accumule bêtises et mensonges. Malgré lui, la question des racines le taraude et il se prend de passion pour une autre culture asiatique que la sienne : la culture japonaise. Une véritable obsession, "un report d'affectivité", comme il le décrit.
En parallèle, il s'exprime à travers le dessin, "un moyen d'évasion et un refuge". C'est ainsi qu'il peut faire disparaître ce qui le gêne et recréer le monde qui l'entoure. C'est aussi de cette façon qu'il peut s'approcher de la mère coréenne inconnue - et fantasmée - pour laquelle il a beaucoup de tendresse. "Les dessins que je faisais pour m'amuser ne mentaient pas" explique Jung. Sans le savoir, il reproduit en effet des souvenirs surgis de sa mémoire coréenne et soigneusement enfouis dans son esprit.
Jung devient dessinateur professionnel "en partant de rien". La quête identitaire, le déracinement, l'abandon... sont au cœur de son œuvre. Il s'essaie d'abord à des fictions à l'univers asiatique, puis comme l'ennuie le gagne, il se lance dans l'autobiographie. "La bande dessinée s'y prête bien" selon lui.
Il choisit de simplifier son dessin et de renoncer à toute démonstration d'un savoir-faire technique. Couleur de peau : miel est une série en noir et blanc au trait rond et épuré dont émane une grande douceur. Jung ne cache pas l'effet thérapeutique de l'aventure : "Je voulais être le plus sincère possible, ne faire aucune concession, n'épargner personne et surtout ne susciter aucune pitié."
Plein d'humour, le triptyque est à la fois le récit d'un cheminement vers soi et une histoire d'amour familial. En particulier celle de son amour réciproque pour une mère d'adoption peu démonstrative. Ses proches ne s'y sont pas trompés, ils ont bien accueilli et soutenu sa démarche.
Comment la BD est-elle devenue un film ? À l'origine, il y a eu la proposition de Laurent Boileau : tourner un documentaire sur Jung dans lequel il reviendrait pour la première fois en Corée à 44 ans. Le tournage a bien lieu mais le projet avorte et une autre idée émerge, celle de réaliser un film d'animation 3D adapté de la bande dessinée.
D'emblée, Jung refuse le copier-coller, "autant faire autre chose, utiliser les outils du cinéma et une grammaire différente". La genèse est difficile. Habitué à tout maîtriser dans le processus créatif, il a du mal à composer avec les visions divergentes de ses collaborateurs, d'autant qu'il s'agit là de son histoire intime...
Mais le film voit le jour. "Je suis très content du résultat, dit-il aujourd'hui, je me suis battu pour." Et il peut être fier en effet, de cet "objet" hybride, qui mêle tout en finesse images d'archives sur l'histoire coréenne, extraits de son voyage, films de famille en Super-8, animation 3D et images "à plat".
Jung voyage dans le monde entier pour présenter son œuvre qui rencontre un grand succès : de la France à la Corée, en passant par Zagreb, le Canada ou Abu Dhabi récemment. Partout, l'accueil du public est le même ; c'est dire si les thèmes abordés et le traitement choisi sont universels.
À Amiens comme ailleurs, quand les lumières se rallument, la salle saisie par l'émotion est bien silencieuse. Peu à peu les langues se délient, ne serait-ce que pour remercier Jung de nous avoir offert ce moment.
Dans l'assistance, une femme prend la parole pour expliquer à quel point ce film l'a touchée, "c'est un peu mon histoire" confie-t-elle. Enfant adoptée d'origine coréenne, elle doit effectuer son premier voyage là-bas prochainement. Elle demande un conseil à l'auteur pour s'y préparer... "Ne pas en attendre trop" lui suggère-t-il, ému à son tour.
Une belle soirée, décidément...
"La construction de notre identité passe inévitablement
par l'acceptation de ce que l'on est."
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