Les 18 et 19 octobre 2014, le public était au rendez-vous pour le 3ème Salon du livre d'Albert et du Pays du Coquelicot organisé par l'équipe des bibliothèques. Ce temps fort ponctuait une semaine pédagogique (rencontres entre auteurs et scolaires dans tous les établissements du territoire) et diverses actions de sensibilisation, notamment auprès des populations éloignées du livre (projections au cinéma, lectures en maisons de retraite...).
Une trentaine d'auteurs (littérature, BD, jeunesse) étaient venus dédicacer et présenter leurs ouvrages. De nombreux ateliers et animations ont aussi attiré un public familial. Au cœur d'une programmation résolument généraliste, un "fil rouge" dédié à la Première Guerre mondiale était prévu dans le cadre des commémorations du centenaire. Plusieurs œuvres consacrées à cette thématique intimement liée au Pays du Coquelicot étaient ainsi à l'honneur.
Comme lors de l'édition 2013, j'ai eu le plaisir d'animer cette année une série d'entretiens avec les auteurs de littérature, au sujet de leurs dernières parutions.
Une fois encore, Gilles Laporte met une femme à l'honneur dans son dernier roman : Je sais que tu m'attends (Ed. Genèse). Laure Ronchas voit sa vie basculer le jour où son grand amour, Alex Jamet, est victime d'un accident de la route qui le plonge dans un coma profond.
Sa compagne reçoit "un direct en pleine face" quand le neurochirurgien, Sébastien Lemire, lui demande d'envisager le don d'organes... "Comment un médecin pouvait-il ne voir dans le corps de son patient qu'une réserve de pièces détachées ?" s'interroge la jeune femme. Dès lors, elle sera seule contre tous à croire qu'il faut maintenir Alex en vie et non le "débrancher" comme Lemire le lui répète sans cesse.
En proie à des souvenirs dont elle est seule gardienne, la jeune femme s'efforce de cheminer dans un présent douloureux. "Mais, même si ça rassure, à quoi bon remuer la mémoire ? N'est-elle pas un piège, une fuite, la débandade des énergies sous les assauts de la vie ? Tellement facile de se réfugier dans les images du passé toujours rendues menteuses par le filtre des souvenirs ! Allons, c'est aujourd'hui qui compte ! Debout !"
Le brillant chirurgien s'emploie à séduire la ravissante Laura, brisée par la souffrance et cette "soumission à un ordre des choses qu'elle n'avait pas choisi"... Le roman de Gilles Laporte laisse longtemps planer le mystère sur les motivations profondes de Sébastien Lemire...
La littérature est, comme l'amour, au cœur de cette histoire. Enfant de l'école de la République, né "dans un milieu où lire était une occupation de fainéant", l'écrivain lorrain rend ici un hommage sincère aux grands auteurs... et aux paysages de Bretagne où s'ancre son histoire. Je sais que tu m'attends nous dit en outre que l'amour peut beaucoup. Et, à la manière de Philippe Claudel, que toutes "les âmes humaines sont grises".
Dans le Jeanne et Marguerite (Ed. Calmann-lévy) de Valérie Péronnet, une narratrice, Jeanne, raconte deux histoires qui se déroulent à cent ans de distance : la sienne de nos jours, et celle de Marguerite au début du 20e siècle. L'une comme l'autre sont emportées par une passion amoureuse à laquelle la guerre va mettre fin.
L'amour de Marguerite pour Eugène n'est pas une invention. Valérie Péronnet a reçu en héritage les centaines de lettres de la jeune femme, son arrière-grand-mère. Un coup de foudre réciproque à Nice, un mariage après six années d'une interminable attente, le bonheur enfin, et deux petites filles... puis le départ à la guerre en 1914.
Jeanne connaît la même passion soumise à l'attente d'un homme dont elle sait peu de choses. Son James s'en va toujours risquer sa vie sur le théâtre de guerres lointaines dont il ne lui dit rien. Mais son coeur n'en veut pas d'autre.
Ses histoires se répondent d'un chapitre à l'autre, au-delà même de ce qu'elle a pu composer intentionnellement.
L'écrit, passerelle vers l'être aimé, joue pour toutes deux un rôle majeur : "Chaque fois qu'il partait, j'entamais un nouveau chapitre. Pour lui dire mes émotions, mes sensations de nous. Pour continuer à échanger, me balader sur notre fil soyeux, remplir notre si précieuse pénombre, et son absence."
Jeanne et Marguerite, qui a été adapté au théâtre avec Françoise Cadol, dans une mise en scène de Christophe Luthringer, nous dit avec émotion le drame des femmes endeuillées. Celles du siècle dernier surtout, à qui l'on a demandé de rester dignes et fières après l'hécatombe. Celles à qui l'on a demandé sans vergogne d'enfouir un chagrin dont finalement, selon Valérie Péronnet, nous sommes tous les enfants...
Scénariste et réalisateur, Thierry Bourcy a écrit et co-réalisé en 2002 le téléfilm
situé pendant la Première Guerre mondiale. Pour ce travail, il s'est imprégné de lectures ou photographies de l'époque, et "très vite, l'intérêt professionnel s'est transformé en passion". Lorsque les éditions du Nouveau Monde lui ont suggéré d'écrire un roman historique sur la Grande Guerre - son premier livre - il a choisi le polar.
. Célestin Louise, flic et soldat dans la guerre de 14-18 (Folio policier) est le recueil des cinq romans situés pendant la Première Guerre mondiale. L'auteur ayant du mal à se séparer du personnage de Louise, il a imaginé deux autres livres en temps de paix.
Dans ses ouvrages, Thierry Bourcy décrit avec force les conditions inhumaines dans lesquelles vivent les soldats sur le front. Mais "au-delà de l'épuisement", il met surtout en relief "le sentiment d'absurdité" qui s'empare rapidement des poilus.
"Célestin se rappela les officiers méprisants, les ordres absurdes, les tueries inutiles, les corps à corps où l'on ressemblait à une bête sauvage... Redevenir barbares, voilà ce qu'on demandait aux poilus, à tous ces pauvres gars qui avaient laissé derrière eux leurs familles, leurs fermes, leurs ateliers..."
Au cours de ses investigations, Célestin est amené à côtoyer toutes sortes de milieux : de la petite ville de province à l'Opéra de Paris, en passant par les ateliers Renault à Billancourt, le music-hall, les Brigades du Tigre... Au-delà de la guerre, la série policière de Thierry Bourcy brosse, au fil d'enquêtes bien rythmées, une grande fresque de la société de l'époque, en respectant scrupuleusement le contexte historique. Une façon originale d'être, à son tour, "un passeur de mémoire".
Tartes aux pommes et fin du monde (Alma Ed.) est le premier roman de Guillaume Siaudeau qui publie habituellement de la poésie. Le narrateur, un jeune homme qui décharge des camions dans une ville portuaire, y raconte son histoire à la première personne.
Le livre s'ouvre sur son récit d'une scène traumatique (le traumatisme-fondateur ?) : une promenade au cours de laquelle Bobby, le chien de la famille, meurt brutalement sous la chaleur accablante. Constatant le décès de l'animal, le père s'en empare devant les deux enfants et... le jette du haut de la falaise. "« Maintenant envole-toi, Bobby ». Non seulement Bobby ne s'est pas envolé, mais il s'est écrasé en bas à une vitesse impressionnante. Papa aurait pourtant dû savoir que Bobby ne savait pas voler." Les malheurs s'enchaînent pour notre héros. Sa mère quitte le foyer familial, laissant un mari désemparé qui s'enfonce dans la violence et l'alcool.
Lorsqu'il tombe amoureux d'Alice, l'horizon du narrateur s'éclaircit. Mais son bonheur est de courte durée ; la jeune femme le quitte : "La vie était rythmée par ces deux mots : aimer et perdre. Aimer le plus longtemps possible, et puis un beau jour tout perdre. J'allais devoir réapprendre à aimer pour réapprendre à perdre. Pour l'instant je me contentais d'écouter la pluie en regardant mes mains."
Le réconfort ? C'est dans un compagnon insolite qu'il va le trouver, un revolver sur lequel il reporte toute sa vaine affection. "Un flingue brillant et un homme qui vient de se faire plaquer. Deux solitudes s'annulent entre elles, c'est à peu près aussi simple que ça."
Tartes aux pommes et fin du monde, comme son titre l'indique, oscille finement entre légèreté et noirceur. Le langage poétique de l'auteur, son langage de prédilection, donne une teinte très particulière à cette histoire où l'humour affleure toujours, même dans les pires moments. Guillaume Siaudeau a du style, à suivre.
Parue en 1992, l'anthologie de Jacques Béal, Les poètes de la Grande Guerre (Ed. Cherche-Midi), est rééditée en ce mois d'octobre dans une version enrichie de traductions anglaises. Ce livre rappelle à nos mémoires (ou exhume) une centaine de poèmes de grands noms de la littérature (Éluard, Cendrars, Desnos, Apollinaire, Mac Orlan...) et de poètes oubliés ou méconnus. Quelques lignes de présentation sous chacun des textes permettent d'ailleurs d'éclairer le lecteur.
Que ces hommes aient été écrivains avant leur immersion dans le conflit ou bien que la guerre ait fait naître chez eux une "conscience poétique", leurs écrits sont toujours édifiants. Le poème patriotique exalté du diplomate Paul Claudel, Tant que vous voudrez, mon général ! côtoie ainsi la Chanson de Craonne des soldats contestataires, interdite par le Commandement militaire. À l'évidence, le point de vue n'est pas le même selon que l'on se trouve ou non au fond de la tranchée...
Jacques Béal fait entendre surtout la voix des poètes combattants dont certains ont laissé leur vie sur les champs de bataille comme Charles Péguy, tué dans un assaut héroïque en 1914. Dans les moments les plus sombres, écrire était-il une façon de tenir, de transcender le réel ? Une façon de tromper l'ennui d'une guerre souvent statique ?
Plongés en enfer, de nombreux auteurs manient encore l'humour. Dans sa Petite chanson des mutilés, Benjamin Péret, qui fit la guerre d'un bout à l'autre, écrit ainsi : "Prête-moi ton bras pour remplacer ma jambe Les rats me l'ont mangée à Verdun à Verdun"...
Au milieu du chaos surgit parfois une esthétique de la guerre qui surprend le lecteur, comme en témoigne le poème d'Apollinaire au titre provocateur, Merveille de la guerre : "Comme c'est beau toutes ces fusées Mais ce serait bien plus beau s'il y en avait plus encore".
Sur le plan formel, on retrouve aussi bien dans cette anthologie des textes versifiés en alexandrins, que des textes en vers libres dont la rime a disparu. La pensée surréaliste n'est pas loin. Cette période est résolument à la croisée des chemins et des courants artistiques...
Alors que tant de soldats sont restés incapables de partager à leur retour, leur expérience du front, les poètes de la Grande Guerre mis à l'honneur par Jacques Béal ont pu "poser des mots" sur leurs cauchemars. À un siècle de distance, leur témoignage nous est précieux. "Passé fidèle Qui me suit, pas à pas, glanant les souvenirs, Triste passé, je n'oublie rien, tu peux venir." (Roland Dorgelès, Dernière relève.)
Le spectacle Où donc est tombée ma jeunesse... mis en scène par Jean-Luc Revol à partir d'une quinzaine de textes du livre, sera joué à la Comédie de Picardie d'Amiens, puis en tournée, à partir du 15 novembre 2014. (Cf. article ICI).
Petite anthologie de la Grande Guerre (F. Paillart Ed.), un florilège thématique de textes rédigés par des combattants français, britanniques, allemands ou autres, qui racontent leur guerre en prose ou en vers. Il est illustré par plus de 170 documents photographiques.
Les tranchées de l'Ancre -
la Vallée de l'Ancre (affluent de la Somme), théâtre de violents combats lors de la guerre 14-18. Il a recueilli des témoignages dans sa propre famille et dans son entourage avant d'élargir ses recherches et le champ géographique de ses investigations, bien au-delà du .
En toute occasion, c'est l'expérience sensible qui prime. Et une expérience dont l'aspect international et multiculturel est clairement mis en exergue.
L'anthologie de Daniel Wintrebert rend un hommage très documenté à la parole de ces hommes courageux et lucides, engagés dans l'un des plus importants conflits de l'histoire. "J'ai frappé le premier. J'ai le sens de la réalité, moi, poète. J'ai agi. J'ai tué. Comme celui qui veut vivre. Le métier d'homme de guerre est une chose abominable et pleine de cicatrices... je m'empresse de dire que la guerre, ce n'est pas beau. Je me demande où les types vont chercher ça quand ils racontent qu'ils ont vécu des heures historiques ou sublimes."
Originaire du Santerre, Alain Lebrun signe avec L'enfant du Pont du Diable (Ed. Marivole) son premier livre, un roman de terroir bien ancré dans la Creuse, sa région d'adoption. En 1955, le domaine de La Frênaie est tenu de main de fer par l'odieuse marquise Isaure de la Frênaie, veuve et mère de Germain Enguerrand.
Le jeune homme, pourtant élevé dans des conditions terribles, incarne le type même du héros positif : "Malgré cette enfance à rude épreuve, un apprentissage de guerrier, les repas au pain sec et l'absence de jeux, aucune méchanceté n'altéra la bonhomie de Germain-Enguerrand."
Sa vie est bouleversée par la rencontre amoureuse de Marie, une fille de boulanger dont la condition modeste entrave la possibilité d'un avenir commun. Charmante au premier abord, celle-ci se révèle en fait torturée par un drame familial, accident de la route qui pourrait être lié à la légende du Pont du Diable (qui existe réellement dans le Berry, terre de sorcellerie selon George Sand et bien d'autres !).
L'amour de Germain et Marie va se sceller autour de l'enquête qu'entreprend le jeune homme, avec l'aide de son ami le Père Grégoire, pour élucider certains mystères autour de l'accident. Adhémar Fouriaud, employé du château et incarnation du soldat qui ne s'est jamais remis de la guerre, leur rend la tâche difficile. Parmi la galerie de personnages de cette histoire, celui de Bienvenue, fille illégitime handicapée d'Isaure de La Frênaie, est particulièrement attachant et joue un rôle déterminant dans l'intrigue.
L'enfant du Pont du Diable est un plaidoyer optimiste contre les barrières sociales et les préjugés. Alain Lebrun, répondant à la demande de ses lecteurs, devrait y apporter une suite.
L'écharpe rouge (Ed. Le Castor astral) est la première pièce de théâtre de l'écrivain et journaliste Philippe Lacoche. Un texte court pour quatre personnages et une narratrice, bien plus proche du style loufoque de certaines de ses nouvelles, que de sa plume de romancier.
Après l'agonie (en riant !) d'un huissier de justice assassiné dans des circonstances étranges, Humbert Mulot, seul témoin de la scène, doit se plier à l'interrogatoire délirant de l'Inspecteur Dambrine. De conversations insensées en chansons débridées, le spectateur est entraîné dans une sarabande qui ne se prend jamais au sérieux. "Écoutez, je n'en sais rien du tout. Demandez à l'auteur du texte si vous en avez le courage. Il est à moitié fou ; il ne vous le dira jamais."
À l'évidence, Philippe Lacoche s'est fait plaisir en imaginant cette pseudo intrigue policière dans laquelle les protagonistes partent en vrille à tour de rôle (ou tous ensemble), dans une joyeuse (et grivoise) satire de notre société. (Lire ICI l'article Philippe Lacoche, en boîtes et au théâtre.)
Au cours du salon, Thierry Ducret, a présenté également le CR2L Picardie (Centre régional Livre et Lecture) qu'il dirige à Amiens. Association fédérant les professionnels du livre (auteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires, organisateurs de manifestations littéraires...), cette structure reçoit le soutien de la DRAC et du Conseil régional de Picardie dans ses missions de formation, d'accompagnement des différents acteurs, de communication, d'étude ou de valorisation du patrimoine, notamment.
Le CR2L est aussi créateur de projets comme les Rendez-vous Lecture en Picardie destinés à promouvoir le plaisir de lire, organisés depuis 2011 dans les trois départements. Ou le nouveau portail La Picardie vue par les écrivains qui donne accès à une cartographie du territoire élaborée à partir d'extraits de textes littéraires. Cette géolocalisation des œuvres permet de (re)découvrir les lieux à la lueur de ce que les auteurs ont exprimé à leur sujet. Albert et le Pays du Coquelicot auront de bonnes raisons d'y figurer, pour tout ce qu'ils ont inspiré aux écrivains combattants de la Première Guerre mondiale...