Après Tu montreras ma tête au peuple (Ed. Gallimard), recueil inclassable dans lequel il évoquait la Terreur et les derniers jours des condamnés (cf. notre rencontre du 14 juin 2013), François-Henri Désérable revient avec Évariste (Ed. Gallimard).
Mercredi 21 janvier 2015, l'ex-hockeyeur professionnel présentait donc à la librairie Martelle d'Amiens (ville dont il est natif), son premier roman consacré à Évariste Galois, le Rimbaud des mathématiques, né à Bourg-la-Reine en 1811 et mort en duel, à 20 ans, en 1832.
C'est son intérêt pour la question des duels qui a fait redécouvrir à François-Henri ce jeune prodige méconnu du grand public, et dont il fait un personnage hautement littéraire. Le romancier qui revendique "un Évariste très personnel, très subjectif", affirme ainsi dès les premières pages : "il faudrait nuancer. Je ne suis pas historien. Je ne nuancerai pas."
Évidemment, notre auteur ne trahit pas. Il s'appuie sur les éléments de biographie dont il dispose. Pour le reste, "Je ne sais pas", "je suppose", "je veux croire", "Mais après tout, mademoiselle, nous n'y étions pas. Peut-être cela s'est-il passé autrement"... ses incertitudes assumées deviennent des outils de la narration.
Il brode avec brio, faisant surgir des images, des séquences tout entières avec un talent de metteur en scène. "Ce film que personne n'a encore tourné, il m'arrive parfois d'en rêver, d'en voir quelques scènes mémorables dans une avant-première onirique, en pur esprit".
Son histoire s'adresse à une "mademoiselle" (dont on ne saura jamais si elle existe !). L'auteur justifie doublement le procédé. Il souhaitait tout d'abord pouvoir "haranguer le lecteur, l'emmener dans l'aventure". Sur le plan du rythme en outre, l'usage de ce "mademoiselle" rendait service à la phrase. L'idée est bonne et le lecteur, quel qu'il soit, se prête bien volontiers au jeu.
C'est au collège Louis-le-Grand en 1827 que l'élève Galois alors âgé de quinze ans, découvre - et comprend - les mathématiques. "Quelle fut sa réaction ? Un mélange, je crois, de plaisir et de soulagement, d'allégresse, de joie, une éclatante révélation, de celles qu'on ne connaît qu'une ou deux fois dans sa vie..." C'est en lisant Belle du Seigneur (Ed. Gallimard, 1968), le roman d'Albert Cohen, que François-Henri avoue avoir reçu le même type de révélation, prenant alors conscience du pouvoir de la littérature.
Le génie d'Évariste s'accommode mal des exigences du système. Incompris, insoumis, son carnet de notes atteste que "c'est la fureur des Mathématiques qui le domine". Il est refusé deux fois à Polytechnique. Son mémoire pour l'Académie des sciences est égaré. Il se rabat sur l'École préparatoire, future École Normale.
Point de vase clos chez Désérable, la destinée de ses personnages est en lien direct avec la grande histoire. Évariste est un républicain farouche. Au moment des Trois Glorieuses qui vont défaire Charles X, il est enfermé dans le dortoir de Louis-le-Grand, "impétueux, frénétique, exalté. Impuissant." À son grand désespoir, cette page de l'Histoire devra s'écrire sans lui. Il se rattrape bientôt, car "avec les plus virulents de ces hommes virulents il fut de tous les soulèvements, de toutes les émeutes qui début 1831 agitèrent Paris."
En 1832, Galois est au banquet des Vendanges de Bourgogne. Levant son verre et un poignard séditieux, il porte un toast au roi. On l'arrête le lendemain. Tiré d'affaire par un avocat habile, il est acquitté. Quelques semaines plus tard, il est de nouveau appréhendé pour "port d'un costume prohibé" (son uniforme d'artillerie de la Garde Nationale). Retour à la case prison.
Le jeune homme est enfermé à Sainte-Pélagie, "la bonne vieille Pélago", où il doit purger une peine de six mois. À quelque chose malheur est bon, il y croise le magnifique poète Gérard de Nerval, "à cet homme il put parler d'égal à égal pour la première et peut-être l'unique fois de sa vie."
Le choléra qui décime la capitale impose l'évacuation de la prison. Évariste est transféré dans une maison de santé de la rue de l'Ourcine. Il fait alors la rencontre de l'amour en la personne de Stéphanie Poterin du Motel. On en sait peu sur cette idylle - dont Désérable imagine les développements sensuels - sinon qu'elle tourne mal. "Brisons-là sur cette affaire, je vous prie" lui écrit Stéphanie. Autour de cet amour brisé, les choses s'enveniment et voici Évariste "invité à se battre en duel pour venger l'honneur d'une jeune fille prétendument offensée".
La nuit qui précède sa mort, le 30 mai 1832, le jeune homme écrit quelques missives dont une lettre majeure à son ami Auguste Chevalier, choisi comme "le dépositaire de sa mémoire". Synthèse de sa pensée, "testament mathématique, legs sacré d'un génie", elle accompagne son fameux mémoire d'une quinzaine de pages. Le romancier a eu accès à l'ensemble, conservé aujourd'hui précieusement à la bibliothèque de l'Institut de France.
Difficile de bâtir une histoire sur un génie sans comprendre ce qu'il fit de génial ! "Il me faudrait la vulgarisation de la vulgarisation pour y piger quelque chose", concède Désérable. Que chacun se rassure, le livre fait comprendre l'importance du travail d'Évariste Galois sans en donner la démonstration. Retenons donc simplement que sa Théorie des groupes était "si novatrice, si audacieuse qu'elle fut incomprise en son temps, si profonde qu'elle n'a pas encore fini de nous livrer ses secrets."
Malgré tout, il va falloir mourir. "De ce duel, on ne connaît que le nom de celui qui fut tué. On ignore tout le reste : on ne sait même pas le nom de celui qui tua." Plusieurs thèses ont été avancées à ce sujet, y compris la théorie du complot (la fameuse, celle qui a la peau dure d'un siècle à l'autre...) à laquelle l'auteur refuse de souscrire.
Les dernières pages du livre sont tout à fait poignantes. "Gâchis", le mot est sous la plume d'Évariste Galois lors de sa dernière nuit. Il n'en est pas de meilleur pour qualifier cette histoire achevée dans une chambre à Cochin. Sur la question de la mort, déjà prégnante dans son premier ouvrage, François-Henri Désérable admet "un certain tropisme". Malgré son jeune âge (27 ans), pressent-il, comme Évariste "que le temps est un bardache au sourire vengeur, carnassier, dont on abuse allègrement mais qui finit toujours par nous baiser ?"
Dans un style élégant et libre, tour à tour lyrique, grave ou drôle, ponctué de références très contemporaines (aux sextapes, à Facebook...) l'écrivain rend un bel hommage au mathématicien foudroyé. Comme il en avait l'ambition, il contribue à "le sortir de la fosse commune où on l'a jeté" et confirme, avec ce deuxième livre, les promesses du premier.
Évariste figure parmi les finalistes du prix RTL-Lire 2015. Il est aussi sélectionné pour le Prix du Roman des étudiants France Culture-Télérama.
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