Le Musée de Picardie propose un Focus sur... Pablo Picasso (1881-1973) à l'occasion du retour à Amiens de la toile le peintre et son modèle (1967) qui sera exposée du 24 mars au 29 mai 2016. Cet accrochage s'accompagne d'une série de conférences gratuites (sur réservation) et de la projection du film Le mystère de Picasso d'Henri-Georges Clouzot lundi 2 mai au Ciné Saint Leu.
Jeudi 10 mars 2016, une première conférence était donnée devant une salle comble par Androula Michaël, Maître de Conférences en art contemporain à l'Université de Picardie Jules Verne, sur le thème : "Les lieux communs dans l'oeuvre de Picasso : l'autoportrait au modèle, un lieu commun de l'Histoire de l'art ?".
La spécialiste, qui a notamment publié Picasso écrits & pensées - Je ne cherche pas, je trouve (Ed. Le Cherche midi, 2014) et Les animaux de Picasso (Ed. Circonflexe, 2013), souhaitait donner à voir un Pablo Picasso "débarrassé des commentaires et scories, agiographiques comme polémiques, de ses contemporains." Selon elle, l'artiste a été si connu et célébré dans le monde entier à partir des années 1950, que sa personnalité a souvent occulté l'oeuvre.
Rappelons donc que le jeune Pablo, fils d'un peintre qui enseignait aux Beaux-arts, manifesta très tôt une extraordinaire faculté pour le dessin. Les images des tableaux projetées sur le grand écran témoignent en effet d'une maîtrise technique parfaite, comme ce Vieux pêcheur réalisé en 1895, alors qu'il n'a que quatorze ans. Son talent – alors influencé par Goya, Velasquez ou Le Greco – est déjà reconnu : Science et charité (1897) reçoit une mention honorifique à l'exposition des Beaux-Arts de Madrid.
Né à Malaga, Picasso grandit en Espagne dans l'ignorance de ce qui se passe en France. Son travail est académique alors, et paraît même anachronique, au regard des sujets de la modernité de l'époque. C'est arrivé à Paris en 1900, après une première exposition à Barcelone, qu'il va rapidement assimiler ces sujets tout en persistant, avec ses périodes bleue (1901-1904) et rose (1904-1906), dans un certain décalage avec les artistes son temps. Il délaisse les thèmes en lien avec la vie urbaine pour leur préférer ceux de la misère ou de la pauvreté. Ses toiles se vendent certes, mais sa signature ne vaut pas celle de Renoir ou de Manet.
"Chez lui, les styles se succèdent à une vitesse accélérée, indique la conférencière. C'est un artiste infatigable qui dessinera jusqu'à son dernier jour." Picasso envisage son travail comme une expérience toujours inachevée. Il dit préférer peindre cent tableaux plutôt que de passer cent jours sur un tableau. Sa peinture, c'est "la recherche d'autre chose, une sorte de quête philosophique."
En 1907, Les Demoiselles d'Avignon marque une rupture majeure dans l'histoire de l'art. C'est un état d'esprit qui s'exprime ; le mystère a davantage d'intérêt que la représentation. Avec Georges Braque, Picasso invente le cubisme, traitement géométrique des images qui évoque les trois dimensions d'un objet sur une surface plane. En 1912, Nature morte à la chaise cannée est le premier collage de l'histoire de l'art. L'oeuvre introduit aussi l'idée de signe, la présence de lettres dans l'espace pictural. Au bon marché (1913) préfigure le pop-art.
Après le cubisme, Picasso revient au réalisme puis, dans les années 20, se frotte au surréalisme. André Breton salue son travail. "Je pense que l'oeuvre d'art est le produit de calculs, explique Picasso, mais de calculs souvent inconnus de l'auteur lui-même. Exactement comme le pigeon voyageur, qui calcule pour rejoindre son nid. Mais ce calcul, qui se trouve être juste, est inconnu de lui ; c'est un calcul antérieur à l'intelligence."
Peinture, sculpture, gravure..., question modes d'expression, l'artiste de légende ne se refuse rien. En 1935, alors âgé de cinquante-quatre ans, il se met à écrire, assidûment : plus de 350 poèmes et trois pièces de théâtre, jusqu'en 1959. Une nouvelle voie à explorer. "On me dit que tu écris. De toi, je crois tout possible. Si un jour on me dit que tu as dit la messe, je le croirai aussi bien", lui écrit sa mère en 1936. À ce sujet, Androula Michaël a publié Picasso poète (Ed. ENSBA) en 2008.
Le poète ne privilégie aucun support pour écrire mais le graphisme a son importance. Des ratures donnent à voir la genèse de ses textes qui comportent peu de dessins ou de couleurs : "le côté plastique est à la marge quand il écrit", commente Androula Michaël. Il date systématiquement ses œuvres qui sont aussi bien en français qu'en espagnol. Passer de l'une à l'autre langue donne lieu à des jeux, des expériences. Avec l'humour qui le caractérise, Picasso lance à son ami et secrétaire Jaime Sabartés qui dactylographie ses textes : "C'est aux erreurs qu'on reconnaît le génie, mon vieux" .
Les thèmes de ses écrits, leurs objets, sont les mêmes que dans sa peinture, avec une importance plus grande accordée au quotidien. La nourriture prend, par exemple, une dimension symbolique : "l’aigle pris dans les glaces vomit ses ailes dans le ciel le drap noir de la fenêtre claque sur la joue du ciel emporté par l’aigle vomissant ses ailes", 25 décembre 1939. Les références aux nombres et aux mathématiques sont également fréquentes.
En pleine occupation, l'art de Picasso est considéré comme dégénéré par les nazis. Le peintre reste en France pourtant, et demande la nationalité française en 1942. On la lui refuse. Il s'engage dans le communisme à partir de 1944. L'auteur de Guernica (1937), toile célèbre qu'il réalise pour l'Exposition Internationale de Paris, en réaction au bombardement de la petite ville basque pendant la Guerre d'Espagne, est catégorique : "Non, la peinture n'est pas faite pour décorer les appartements. C'est un instrument de guerre offensive et défensive contre l'ennemi".
- Jeudi 7 avril 2016 à 19h : conférence "Picasso et les autres : L’arrivée du tableau de Picasso dans les collections du musée dans le contexte de la nouvelle politique d’acquisitions et dépôts lors de la première rénovation du musée de Picardie 1984-1992." Par Dominique Vieville, Conservateur général du patrimoine, du musée des Beaux-Arts de Calais, conservateur des musées d’Amiens de 1984 à 1992, à la direction des Musées de France, puis conservateur du musée Rodin, Paris.
- Jeudi 12 mai 2016 à 19h : conférence "Les Archives de Pablo Picasso : apprendre davantage des œuvres ?" Par Laure Collignon, Conservateur en charges des archives au musée Picasso, Paris.
- Jeudi 19 mai à 19h : conférence "L’œuvre tardive de Picasso et sa réception critique lors des 2 expositions d’Avignon, Palais des papes (1971 & 1973)." Par Laurent Wolf, critique d’art et journaliste, sociologue et artiste (sous réserve)
- Lundi 2 mai 2016, fin de journée : projection au Ciné Saint- Leu du film : Le Mystère Picasso d'Henri-Georges Clouzot