Le Salon du livre de Paris, rebaptisé cette année "Livre Paris", s'est déroulé du 17 au 20 mars 2016 sur 55 000 m², comme à l'habitude au parc des Expositions de la Porte de Versailles. La 36e édition de cet événement phare de la vie littéraire était, selon les organisateurs, placée sous le signe du renouveau. Un salon qui devait être "réenchanté", et qui a pourtant ressemblé comme un frère à ses prédécesseurs.
Créée en 1981 à l'initiative des membres du SNE (Syndicat national de l'édition), la manifestation est organisée en partenariat avec Reed Expositions France, filiale de Reed Exhibitions, également aux manettes du Chicago Comic & Entertainment Expo, de The London Book Fair ou de la FIAC. Aux manettes aussi du Salon Mondial Body-Fitness, de Bâtimat et de Pollutec.
Parmi les nouveautés annoncées (outre un changement de nom et d'identité visuelle discutable), un Hors les murs sur les berges intitulé "Livre sur Seine" en amont du salon (expositions, animations, ateliers, rencontres), une "déambulation familiale et entièrement gratuite" pour "une immersion inédite dans l'univers du livre, dans un cadre ouvert et populaire." Une belle idée qui mériterait d'être étoffée l'an prochain. Quant au retour de la soirée nocturne, le jeudi jusqu'à 22h, il s'est avéré décevant en termes de fréquentation.
Livre Paris 2016 misait sur des espaces thématiques plus nombreux ; pas moins de 800 rencontres et conférences ont émaillé le salon. Saluons ainsi la création d'une nouvelle scène entièrement dédiée à la bande dessinée et à ses auteurs, sur laquelle était notamment invité le scénariste picard Régis Hautière. Le 9e art est-il bien sur la voie de la reconnaissance qu'il mérite ? [À ce sujet, vendredi 3 juin 2016, j'aurai le plaisir d'animer la Journée professionnelle des 21es Rendez-vous de la bande dessinée d'Amiens sur le thème "Pour en finir avec les préjugés sur la bande dessinée." ]
Lorsque des personnalités telles que l'astrophysicien Hubert Reeves, auteur avec Daniel Casanave de L'Univers (Ed. Le Lombard, coll. La petite bédéthèque des savoirs) ou le physicien Thibault Damour, membre de l'Académie des sciences publiant Les mystères du monde quantique (Ed. Dargaud) avec Mathieu Burniat, évoquent la richesse du lien entre sciences et bande dessinée, les choses semblent en bonne voie !
Quoiqu'on en dise, le salon parisien reste un lieu de réflexion et de débat. Assister en quelques heures à autant de conférences ou tables rondes est une opportunité pour le visiteur (en particulier venu de zones où l'offre culturelle est limitée).
"Quelles écritures pour témoigner de la guerre ?" avec Barroux, Mémona Hintermann et Antoine Prost, "Les premiers romans" avec Olivier Bourdeaut, Isabelle Bunisset et Emmanuel Régniez, "Encrés dans le réel" avec Iain Levison, Toine Heijmans et Olivier Adam, "Les Belles étrangères // Résistance(s)" avec Emmanuel Dongala, Dany Laferrière, Thomas Ostermeier et Luis Sepúlveda... voici quelques exemples de moments privilégiés qui questionnaient les raisons d'être de la littérature.
Comme les autres années, le salon faisait la part belle à l'international (45 pays représentés), avec un Pays à l'honneur : la Corée du Sud, et des villes invitées : Constantine (Algérie) et Brazzaville & Pointe Noire (République du Congo). Des expositions éiatent organisées également, parmi lesquelles une célébration remarquable des 50 ans de prosodie en images de la mythique collection Poésie des éditions Gallimard, où vient d'être publiée L'indiscipline de l'eau, anthologie personnelle 1988-2012 du poète de Picardie Jacques Darras.
Participer au salon n'est pas à la portée de toutes les bourses éditoriales. Les stands les plus grands et les mieux placés (l'implantation étant la clé du succès dans ce type d'événements) sont occupés par les éditeurs qui vendent déjà le plus de livres. Difficile pour les petits, dans ces conditions, de se rendre visibles au public.
Pour autant, cette manifestation offre toujours une occasion unique de rencontre entre professionnels. Ainsi, les éditeurs du Nord-Pas-de-Calais et de la Picardie, désormais réunis sous la bannière Hauts-de-France, tenaient pour la première fois stands communs au salon. Ils étaient une vingtaine à y participer, témoignant d'une indiscutable richesse. Une manière de mieux faire connaissance et de créer du lien entre les acteurs du livre de la nouvelle grand région.
Malgré une baisse de fréquentation de 15 % en 2016 soit, sur la base des 180 000 visiteurs de 2015, environ 153 000 entrées, le communiqué/bilan des organisateurs fleurait bon l'autosatisfaction, considérant cette 36e édition à la "programmation foisonnante et éditorialisée... plus chaleureuse, plus colorée, plus vivante." Pour mémoire, le salon attirait 240 000 visiteurs en 2001. À titre de comparaison - douloureuse, puisqu'il s'agit de la plus grande manifestation de ce type en Europe - la Foire du livre de Francfort mobilise jusqu'à 300 000 visiteurs.
Fixé à 12 €, le ticket d'entrée grand public de Livre Paris (toute sortie étant définitive) a sûrement un caractère prohibitif. La règle selon laquelle les visiteurs sont obligés de laisser leurs propres ouvrages au vestiaire pour passer les portiques, n'est pas non plus du goût de tout le monde. Bannir les livres dans un salon du livre ? Il y en a sans doute suffisamment à vendre sur place pour n'avoir pas besoin d'apporter les siens...
Près de 3000 auteurs étaient présents à Livre Paris 2016. Passage obligé pour certains écrivains, comédiens, animateurs, politiques surmédiatisés, le salon draine toujours les foules à l'affût de personnalités estampillées "Vu à la télé". On se demande parfois si les uns ont vraiment écrit leur livre, et si les autres vont vraiment le lire... Voilà qui fait partie du jeu, et qui n'interdit pas la rencontre entre auteurs et lecteurs sincères.
Question organisation, le changement de cap annoncé n'a pas convaincu. Donner une âme à un paquebot aussi gigantesque que ce salon Porte de Versailles, est certes un exercice périlleux. Cette année, la SGDL (Société des gens de lettres), l’ATLF (Association des auteurs traducteurs de France), l’ATLAS (association pour la promotion de la traduction littéraire), la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse et la SCAM (Société civile des auteurs multimédia) ont préféré ne pas renouveler leur stand commun, la traditionnelle Place des Auteurs. Le fait que la création - à l'origine de toute la chaîne du livre - souhaite prendre des distances avec la manifestation est un signal inquiétant. Réenchanté ou non, le prochain Livre Paris aura lieu Porte de Versailles du 23 au 26 mars 2017.
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