Depuis janvier 2016, le Nord-pas-de-Calais et la Picardie ne forment qu'une seule et même région - dont le nom reste à définir - sous la présidence de Xavier Bertrand. Lors de la soirée anniversaire de la Maison de la culture d'Amiens qui célébrait le 27 février 2016 les 50 ans de sa création, celui-ci a annoncé une hausse du budget de la culture de 70 à 110 millions d'euros afin de la placer "au cœur de l’éducation et de l’identité collective" (source Courrier Picard). Un signe fort dans des temps de restrictions dont les acteurs culturels sont souvent les premières victimes.
Dès 2015, ces acteurs s'étaient réunis au sein du CRAC (Collectif Régional Arts et Culture Nord-Pas-de-Calais Picardie) pour précéder la réforme et éditer un Livre blanc à l'intention des candidats aux élections régionales. (Cf. article ICI). Il semble que leur action n'ait pas été inutile. Reste à défininir une politique culturelle et les modalités de la "fusion" dans les différentes disciplines, autant dire que la tâche est immense.
Dans le domaine du livre, l'incertitude demeure sur la manière dont vont s'organiser le rapprochement et la coopération entre les uns et les autres. Le 17 décembre 2015, le CR2L Picardie (Centre régional livre et lecture) organisait au Théâtre du Chevalet de Noyon (60) un séminaire avec ses adhérents, professionnels du livre (auteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires, institutionnels...) sur le thème : "Nouvelle région, nouveaux défis". L'occasion de s'interroger sur l'existant et de réfléchir aux opportunités que présentera le vaste territoire.
Selon le sociologue Claude Poissenot, Maître de conférence à l’université de Lorraine, invité ce jour-là à donner une conférence intitulée "Repenser la chaîne du livre à partir du citoyen lecteur (ou non)", la réforme territoriale peut constituer le moment de recomposer les institutions, et il importe que cette reformulation s'appuie sur la population telle qu'elle est aujourd'hui.
Le sociologue rappelle ainsi que la Direction du Livre, au sein du Ministère de la culture, a été créée en 1975. Depuis, la société a évolué vers une individualisation, une définition du citoyen à partir de son autonomie. Aujourd'hui, l'idée que la culture relèverait d'un universel auquel tous appartiendraient n'est pas une idée partagée. Le point de départ de la réflexion autour des institutions doit être la façon dont les gens s'envisagent eux-mêmes, et leur rapport aux pratiques.
Pour Claude Poissenot, la lecture a la capacité formidable de répondre à la double exigence de nos sociétés contemporaines. Elle coïncide avec la revendication d'autonomie des individus puisqu'une expérience de lecteur est personnelle, sans pour autant interdire la dimension collective et de partage.
Il faut, selon lui, faciliter la circulation des livres, inclure les bibliothèques dans la reformulation de la lecture, en faire des lieux hybrides notamment dans les petites communes. "Le livre doit être partout. Pourquoi l'enfermer dans la case culture ? Cassons les frontières. Mettons-nous à la place de la population. Le service public, c'est le service AU public."
Après cet exposé dédié aux perspectives, Thierry Ducret, directeur du CR2L Picardie a proposé un panorama de la nouvelle grande région. Le Nord est le département métropolitain le plus densément peuplé (450 habitants au m²) hors Île-de-France. La densité moyenne en Picardie est de 98 habitants au m², alors qu’elle s’établit à 324 en NPDC et 115,8 en France métropolitaine.
La nouvelle région Nord-Pas-de-Calais-Picardie est un territoire jeune où les moins de 20 ans constituent 26,5 % de la population contre 24,7% en France. Mais la part de non diplômés y représente 20,5 % contre 18,4 % en France. Avec 11,5 % des 18-65 ans en Picardie et 12 % en Nord-Pas-de-Calais, le taux d’illettrisme est de 4 et 5 points supérieur par rapport à la moyenne nationale (enquête IVQ, 2011). De plus, le PIB par habitant est moins élevé qu’en France pour la grande région (25 380 € contre 26 826 € en France, hors Île de France)... Ces différents indicateurs montrent à quel point l'enjeu livre et lecture est important pour la nouvelle région.
Sur le plan de l'organisation du secteur, le Nord-Pas-de-Calais a longtemps été privé de structure régionale du livre, ce qui a favorisé la création d'associations professionnelles : l'ADAN (Association des Auteurs du Nord), l'Association des éditeurs du Nord et du Pas-de-Calais, l'association Libr'aire et l'association des manifestations littéraires (en cours de création). L'organe interprofessionnel, le Centre régional des Lettres et du Livre Nord-Pas-de-Calais (CRLL) a commencé ses activités en 2008. Il est situé à Arras.
En Picardie, c'est l'organisation interprofessionnelle qui domine. Le CR2L est né en 2010 à partir de PICASCO, agence de coopération entre bibliothèques créée en 1988 et qui avait peu à peu intégré d'autres acteurs pour faire progresser l'intérêt général de la filière livre. Il est structuré en quatre commissions (patrimoine, économie du livre, développement de la lecture et lutte contre l'illettrisme, vie littéraire et Maisons d'écrivain) qui se réunissent à un rythme soutenu et qui ont un poids réel dans les orientations stratégiques.
Reste donc à savoir comment vont désormais s'articuler les relations entre les structures existantes et les différents acteurs qui les composent. Des ateliers étaient dédiés à cette question durant l'après-midi, au cours desquels les participants étaient invités à imaginer comment dessiner l'avenir à partir de l'existant et des spécificités des deux régions amenées à fusionner.
Au cours de ce séminaire, une visite du Musée Jean Calvin, construit à l'endroit de la maison natale du grand réformateur protestant, né à Noyon en 1509, était également au programme. Rappelons que la Picardie dispose d'un exceptionnel réseau de Maisons et lieux d'écrivain attachés à des personnalités littéraires aussi illustres que La Fontaine, Racine, Rousseau, Alexandre Dumas, Paul Claudel, Jules Verne...
La Bibliothèque du Chapitre de la cathédrale de Noyon (1506 ou 1507), véritable joyau qui abritait la "librairie" des chanoines, était aussi ouverte à la visite. Une manière de sentir à quel point le livre, qui anime toujours nos vies au XIXe siècle, est aussi une marque précieuse de l'héritage du passé.
Le développement de la lecture, la luttre contre l'illettrisme, l'équité entre les territoires, le soutien à la création et aux manifestations littéraires, la valorisation du patrimoine... doivent être des préoccupations fortes dans notre nouvelle région. Comme l'a souligné le poète, essayiste et traducteur Jacques Darras en clôture du séminaire : "La transmission par le livre, c'est l'apprentissage de la liberté !" Liberté de penser, d'exprimer des idées, d'accéder à la connaissance... et bien plus encore.