Samedi 17 décembre 2016, l'abbaye royale de Saint-Riquier (80) accueillait Alain Fleischer et Gérard Titus-Carmel dans leurs expositions respectives - La Lecture et Peindre, écrire - dont le commissariat est assuré par Évelyne Artaud et Ariane Kveld Jaks, et qui se terminent le 23 décembre. Les deux artistes sont à l'honneur depuis le mois de juin au sein de l'abbaye, Centre Culturel de Rencontre dirigé par Anne Potié qui explore le thème des écritures. Rappelons que sous le parvis de l'Abbatiale repose Nithard, Comte-Abbé de Saint-Riquier (800 - 844/845), premier auteur en langue française.
Lors de cette rencontre, Alain Fleischer (écrivain, cinéaste, photographe, plasticien) a présenté sa dernière installation intitulée La page et le volume, le film et la bobine : une spirale de 480 exemplaires du livre La Chasse aux évidences (Galaade Ed.) de l'historien Maurice Olender venu pour l'occasion. Ce dispositif qui associe écriture et cinéma envisage le livre comme un matériau de construction sans pour autant le priver de sa lisibilité puisque toutes les pages en sont déployées autour de la bobine.
Dans son exposition, La Lecture, au premier étage de l'abbaye, Fleischer a réuni seize œuvres photographiques grand format prêtées par le Centre national des Arts plastiques, sous le titre Voyages parallèles. Un travail sur un double voyage : celui des corps (matérialisé par la présence des trains et de leurs passagers) et celui, mental, offert par la lecture.
Fort du constat suivant : "De la lecture, la bibliothèque est le temple idéal, comme la salle de concert ou d’opéra l’est pour l’écoute de la musique ou des œuvres lyriques. Mais la plupart des gens lisent le plus souvent ailleurs que dans une bibliothèque, et finalement dans toutes sortes de lieux et de situations", le photographe opère une sorte de fusion poétique entre les images intérieures produites par lecture, et les circonstances dans lesquelles celle-ci se pratique.
Le travail de Fleischer sur la lecture a donné lieu en 2010 à une série de 27 vidéos commandée par la BnF et présentée dans l'autre salle de l'exposition : Choses lues, choses vues. Le visiteur est invité à se promener parmi les écrans et à écouter au casque les textes lus devant la caméra : "nous avons filmé une centaine de personnes de toutes sortes, de tous milieux et de tous âges, connues ou inconnues, lisant un texte de leur choix dans un lieu de leur choix, pendant quelques minutes."
On peut ainsi découvrir Lydia Flem lisant Les Nouvelles orientales de Marguerite Yourcenar à l'Académie Royale de Belgique, Louise Déry lisant La haine de la musique de Pascal Quignard à Montréal ou le danseur et chorégraphe Daniel Dobbels lisant avec Carole Quettier L’expérience intérieure de Georges Bataille, dans une salle de répétition parisienne. Curiosité et plaisir, à chaque fois, de se laisser entraîner dans un lieu et un univers littéraire spécifiques, incarnés par une voix inédite. L'artiste a en outre créé spécialement pour l'abbaye une œuvre concernant la redécouverte des ossements de Nithard.
Au cours de la rencontre, Gérard Titus-Carmel a dit son admiration pour la démarche d'Alain Fleischer et s'est félicité de la concomitance de leurs deux expositions, fouillant l'une et l'autre "la fameuse passerelle entre arts plastiques et lecture, deux disciplines cousines et rétives de l'être". Il a souligné leur volonté commune de "faire rendre gorge, de donner sens" à ce qu'ils font, considérant qu' "une œuvre est belle quand elle correspond aux raisons qui l'ont mise en route."
Peintre, poète et essayiste, Titus-Carmel, dont Yves Bonnefoy (1923-2016) a écrit : "il est peintre, grand peintre, et poète d'une façon qui le garde au meilleur de la poésie de notre époque présente" (Chemins ouvrant d'Y. Bonnefoy et G. Titus-Carmel, Ed. L'Atelier contemporain, 2014), a publié près de cinquante livres. Il vit et travaille à Oulchy-le-Château, dans l'Aisne. L'exposition consacrée à son travail réunit 135 œuvres parmi lesquelles la série Diurnales, 31 Pages de mai, exposée pour la première fois et qui fait l'objet d'un leporello publié par l'Abbaye royale et les éditions TohuBohu. Une salle est consacrée à ses livres et manuscrits.
Dans Peindre, écrire, les œuvres de Gérard Titus-Carmel ne sont pas présentées de manière chronologique mais en résonance avec les titres de quelques-uns de ses poèmes comme Seul tenant, La Nuit au corps, Ici rien n'est présent ou Demeurant. On y retrouve l'un de ses thèmes de prédilection, le végétal, avec la série des Forêts (1995), les Feuillées (2000-2003), les Jungles (2004), Viornes et Lichens (2014). Il s'agissait selon l'artiste, qui se réjouissait de la qualité de cette exposition, de "prélever des fragments sans dommage pour le texte et les œuvres".
L'ensemble témoigne de la maîtrise rare avec laquelle s'exprime Titus-Carmel, tant dans la pratique de la peinture que dans celle l'écriture, le geste toujours fulgurant. Dans Au Vif de la peinture, à l’ombre des mots (Ed. L'Atelier contemporain, 2016), remarquable recueil de tous ses écrits sur l’art (1971-2015), il établit ce parallèle intéressant : "Penser la peinture en pièces. Une peinture qui ne se livrerait que par bribes, qu’on découvre et assemble, à la manière des mots qu’on maçonne et parfait de silence – qu’on ajuste, par dire, en espérant qu’à la fin tout cela prenne."
Abbaye royale de Saint-Riquier - Baie de Somme
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