Prolongée jusqu'au 30 janvier 2017, l'exposition du musée du Louvre-Lens (62), L'histoire commence en Mésopotamie, propose une immersion fascinante dans un territoire dont le nom grec Mesopotamia (issu de "mesos" et "potamos") renvoie à sa situation "entre les fleuves", le Tigre et l'Euphrate, pour l'essentiel dans l'Irak actuel. Considérée comme le berceau de l'humanité, la Mésopotamie a joué un rôle crucial dans son développement culturel, à travers une civilisation redécouverte au milieu du 19e siècle mais dont l'existence remonterait à environ 12 000 ans avant J.-C.
Sous le commissariat d'Ariane Thomas, l'exposition tire son nom du livre publié en 1956 par l'Américain Samuel Noah Kramer, L’Histoire commence à Sumer (Ed. Flammarion). À travers plus de 400 objets qui appartiennent principalement aux collections du Louvre - le premier à avoir présenté des antiquités assyriennes en 1847 - elle s'intéresse à la période qui s'étend de la fin du 4e millénaire à la conquête d'Alexandre Legrand en 331 av. J.-C. Son parcours thématique aborde la redécouverte de la Mésopotamie, son économie, sa religion, ses villes, l'écriture, les rois, les empires et la fin de la civilisation mésopotamienne.
Particulièrement fertile, la région offre une production agricole de qualité améliorée par l'irrigation qu'ont inventée ses habitants. L'économie se développe autour de cultures variées, de l'élevage et de l'artisanat (textile, vannerie, céramique, métallurgie...). Les échanges commerciaux permettent de compenser une moindre richesse en matières premières (minerais, pierres). Les premières villes apparaissent vers 3400 à 2900 av. J.-C., sous le regard de dieux exigeants que les hommes doivent servir. Enlil (roi des dieux), Enki (dieu sage), Shamash (dieu du soleil), Ishtar (déesse de l'amour et des conflits), puis Marduk (protecteur de Babylone) sont les divinités majeures.
Les villes ont en commun leur protection par des remparts et des installations telles que les ports, ponts ou canaux. La plus importante cité est Uruk, au sud de la Mésopotamie, dont le Temple blanc atteint dix mètres de haut. Il est posé sur une plateforme de dix mètres également. Ninive (capitale de l'empire assyrien détruite en 612 av. J.-C.) et la célèbre Babylone (qui connaît son apogée sous le règne de Nabuchodonosor II de 605 à 562 av. J.-C.), seront de vraies mégapoles.
La première écriture connue est composée dans ce contexte urbain, vers 3300 ans av. J.-C., date considérée comme le début de l'Histoire. Ses caractères en forme de clous ("cuneus" en latin) lui valent le nom de "cunéiforme". En combinant ces clous, on obtient des signes, les pictogrammes, qui représentent souvent ce qu'ils désignent (poisson, jarre, céréales...). Tous ne sont pas figuratifs. Cette écriture est employée dans une quinzaine de langues dont le sumérien et l’akkadien, les principales écrites en Mésopotamie. L'argile, abondant dans la région, lui sert le plus souvent de support. La résistance de ce matériau, une fois séché au soleil, explique qu'autant de tablettes gravées au calame (tige de roseau taillée en pointe), aient traversé les siècles.
Un peu moins d'un million de textes ont été retrouvés au Proche-Orient, donnant un éclairage précis sur l'ensemble de la société mésopotamienne, tant dans le domaine politique que religieux, littéraire ou scientifique. Certains renseignent aussi sur la vie quotidienne : lettres, comptes, listes de courses... Le Kudurru dit "caillou Michaux", rapporté en France en 1786 par l'explorateur André Michaux, fut le premier échantillon d'écriture cunéiforme visible en Europe. Il s'agit d'une stèle datant de Marduk-nadin-ahhe (roi de Babylone de 1100 à 1083 av. J.-C) qui évoque une donation de terre par le roi à son vassal.
Les Mésopotamiens manifestaient déjà un intérêt pour leur passé historique comme en témoignent leurs chroniques royales ou certaines listes chronologiques. Ils nous ont par ailleurs légué leur manière de décompter le temps ou de découper les cercles sur une base soixante (selon leur propre système sexagésimal de numération) ainsi que le calendrier annuel réparti sur douze mois. Leurs textes les plus savants (mathématiques, astronomie, médecine, astrologie...) étaient conservés dans les bibliothèques des temples ou des palais, comme dans celui du roi assyrien Assurbanipal (669 - v. 627 av. J.-C.) à Ninive, proche du site actuel de Mossoul.
La littérature de Mésopotamie transmise par les scribes est riche de mythes, hymnes, épopées... La plus célèbre est sans doute L'Épopée de Gilgamesh, le récit légendaire des aventures d'un roi d'Uruk dont on retrouve l'influence notamment dans certains épisodes bibliques (le Déluge ou la tour de Babel). D'abord transmis oralement, le texte est rédigé en sumérien vers 2300 av. J.-C. Sa version la plus achevée est écrite au royaume de Babylone sur des tablettes en akkadien, vers 1800 av. J.-C. C'est celle que nous lisons aujourd'hui.
L'exposition du Louvre-Lens met l'accent sur l'extraordinaire source d'inspiration que la Mésopotamie, elle-même à la croisée de nombreuses influences, a représenté après sa redécouverte, dans tous les domaines de la création. Eugène Delacroix, Gustave Doré, Giuseppe Verdi, Uderzo et Goscinny, Boney M, Jacques Tardi... autant de personnalités qui s'en sont emparées pour nourrir leur travail.
Le parcours thématique et l'approche grand public choisis par le musée font de L'histoire commence en Mésopotamie une occasion précieuse de se familiariser avec une civilisation à la fois mythique et encore méconnue. Alors que les pillages orchestrés par l'État islamique, ajoutés aux trente-cinq années de guerre vécues par l'Irak, ont eu un effet dévastateur sur les sites archéologiques et le patrimoine de la région, il est utile que chacun se sente concerné par ce qu'ils ont à nous apprendre. Aujourd'hui, la communauté internationale se mobilise afin de préserver ou restaurer ces sites : l'humanité a bien besoin que l'on se penche sur son berceau.
"Celui qui a tout vu,
Celui qui a vu les confins du pays,
Le sage, l'omniscient
Qui a connu toutes choses,
Celui qui a connu les secrets,
Et dévoilé ce qui était caché
Nous a transmis un savoir
D'avant le déluge."
L'Épopée de Gilgamesh
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