Le "héros sans emploi" d'André Franquin (1924-1997), né le 28 février 1957 dans les pages du journal Spirou, est à l'honneur jusqu'au 10 avril 2017 à la Bibliothèque publique d'information du Centre Pompidou (Paris, IVe) dans une exposition gratuite intitulée Gaston, au-delà de Lagaffe.
Planches, éditions originales, dessins inédits, photographies, vidéos, inventions, gags... permettent de se replonger dans l'univers de Gaston devenu, avec près de 900 planches publiées entre 1957 et 1996, une figure majeure du 9e art, alors même que ses apparitions avaient au départ pour seule vocation de donner du rythme au journal.
Lorsqu'il se souvient de la naissance de Gaston (qui doit son prénom à l'ami Gaston Mostraet auquel il ressemble), Yvan Delporte, alors rédacteur en chef de Spirou, raconte : "Franquin a griffonné sur un carton de bock une grosse tête ronde avec une tignasse en désordre, un gros pif en forme de pomme de terre, un regard ahuri. On s’est mis à lancer des idées idiotes en rigolant comme des mouettes". Le ton était donné.
En décembre 1957, Gaston et ses gags ont droit à un double-strip de trois cases, puis à une demi-page avant de devenir une série pleine page dès 1966. Le premier album dont les dessins sont signés Franquin et Jidéhem (avec lequel il collabore aussi sur Spirou et Fantasio), paraît en 1960 aux éditions Dupuis. Dix-neuf albums sont aujourd'hui disponibles.
D'abord tournées vers la jeunesse, les aventures de Gaston, en prise avec les évolutions de la société, vont conquérir un public plus adulte qui se reconnaît dans les préoccupations et la modernité de Lagaffe. À ses côtés, une galerie de personnages attachants contraints de subir ses frasques et son imagination débordante : Fantasio puis Léon Prunelle (rédac’chefs), Yves Lebrac (dessinateur), M’oiselle Jeanne (secrétaire), Aimé de Mesmaeker (homme d'affaires inspiré par le père de Jidéhem), Joseph Boulier (chef de la comptabilité), l’agent Longtarin, Jules-de-chez-Smith-en-face et Bertrand Labévue (amis de Gaston)...
Au-delà de sa maladresse désinvolte, Gaston est aussi un (anti)héros éminemment poétique... et politique ! Outre un goût certain pour les sciences et techniques, il affiche des positions qui bousculent l'ordre établi : antimilitarisme, respect de l'environnement, refus de l'injustice... rejet des parcmètres ! Le 9 mai 1968, le service commercial Dupuis-Paris transmet à Franquin un avertissement de la Commission de contrôle française qui n'apprécie pas l’irrévérence de Gaston vis-à-vis de la police, représentée en BD par l'agent Longtarin. Voilà qui n'empêchera pas Franquin d'accéder à la reconnaissance nationale : en 1974, il reçoit le Grand Prix au festival d'Angoulême et en 1991, la médaille d’officier dans l’Ordre des Arts et des Lettres.
À travers la salle de rédaction où s'exprime l'extravagance de Gaston, c'est aussi de bande dessinée et de Franquin lui-même qu'il est question. L'auteur entretient avec son personnage une relation privilégiée. Surchargé de travail, en proie à une dépression nerveuse, il décide de se consacrer entièrement à Gaston Lagaffe dès les années 60. La mollesse du héros n'entame en rien le dynamisme du trait et le rythme des histoires. André Franquin, influencé par les codes de la publicité, se permet avec cette série de nombreuses innovations graphiques. Son humour, sa liberté de ton et de traitement artistique, ouvrent la voie à des dessinateurs comme Marcel Gotlib ou Claire Bretécher.
En 1977, alors qu'il excelle toujours à animer Gaston, Franquin crée avec Yvan Delporte Le Trombone illustré, supplément au journal Spirou dans lequel il publie ses Idées noires, série qui se poursuivra dans Fluide Glacial jusqu'en 1983. "Les Idées noires, c’est un peu Gaston trempé dans de la suie", explique Franquin au journaliste Francis Matthys de La Libre Belgique en 1982. L'artiste dépressif y développe en noir et blanc les convictions qui affleurent chez Gaston Lagaffe.
En 1988, il affirme dans un constat lucide : "Souvent, l’humour est une fuite et les humoristes sont des gens sinistres qui se soignent sans le savoir par le rire. Comment voulez-vous échapper à l’actualité qui vous matraque les horreurs du monde ? L’être humain est le seul être totalement nuisible de la planète, vraiment ! Alors, comment vous abstraire de ça ? Les gens totalement heureux sont des égoïstes profonds". (L’illustré)
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