Jusqu'au 18 juin 2017, la Condition Publique accueille à Roubaix une grande rétrospective dédiée au mouvement artistique qui se déploie depuis plusieurs décennies dans le monde entier sous le nom de graffiti, street art ou art urbain. L'exposition STREET GENERATION(S) - 40 ans d’art urbain retrace l'histoire de cette culture graphique qui s'affiche désormais dans de prestigieux musées et galeries d'art, ou sur les étagères des librairies. Une cinquantaine d'artistes sont ainsi exposés, certains ayant même crée des œuvres in situ pour l'occasion, comme Jef Aerosol sur le toit du bâtiment.
Si le terme de street art, qui est loin de faire l'unanimité parmi les artistes, n'est apparu que vers 2006, les pratiques qu'il désigne ont vu le jour bien plus tôt. De Lascaux à Pompéi, le mode d'expression semble d'ailleurs antédiluvien ! Dès les années 30 et jusqu'à la fin de sa vie, le photographe Brassaï (1899-1984) est fasciné par les graffitis. Des artistes comme Jacques Villeglé, Raymond Hains, Gérard Zlotykamien ou Ernest Pignon-Ernest font figure de pionniers dans les années 1950 et 1960 en utilisant le matériau urbain comme source d'inspiration ou en investissant la ville pour leurs créations. La rue devient un espace d'exposition choisi et revendiqué.
Le graffiti moderne voit le jour à la fin des années 60, sur la côte Est des États-Unis. Les premiers tags sont de simples signatures peintes sur les murs à la bombe aérosol. À Philadelphie, Darryl McCray, alias Cornbread, est considéré comme le père du graffiti qu'il utilise d'abord pour attirer l'attention de la femme qu'il aime. D'autres l'imitent et les tags fleurissent bientôt aussi à New-York, surtout dans le métro avec les signatures de Julio 204 ou Taki 183.
La compétition fait rage entre les writers que l'interdit stimule. Stay High 149 se montre particulièrement innovant et ajoute à sa signature la silhouette du Saint (série télévisée britannique diffusée entre 1962 et 1969). Véritable démarche artistique, le graffiti devient de plus en plus élaboré et créatif malgré les conditions difficiles liées à la répression ou à l'usage très technique de la bombe aérosol.
Dans les années 70, le mouvement est bien installé : Seen, Blade, Futura 2000 sont des maîtres en la matière. Certains graffeurs abandonnent le train comme support au profit du mur. Ils peignent aussi sur toile. Les codes visuels et principes élaborés à cette époque, et transmis ensuite de génération en génération, sont toujours d'actualité. La presse ou les galeries s'intéressent au phénomène et le succès est au rendez-vous dès les années 80 pour des artistes comme Jean-Michel Basquiat ou Crash auxquels on consacre des expositions.
En 1983 et 1984, la pratique est importée de New-York vers l'Europe grâce au Parisien Bando. Le dialogue se noue de part et d'autre de l'Atlantique entre les graffeurs ; une école européenne voit le jour. La génération qui prend le relai dans les années 1990 diversifie les techniques pour délivrer son message : pochoir, collage, mosaïque... Shepard Fairey alias Obey, et le Chinois Zhang Dali alias AK47 s'expriment sur les murs des villes sans utiliser la bombe. L'icône en mosaïque du Français Space Invader s'affiche à Paris dès 1996.
Au-delà du seul graffiti, le street art devient protéiforme et cherche, à l'instar des œuvres du Britannique Banksy, à faire réfléchir sur la société et ses dérives. Miss.Tic, Blek le Rat, Jef Aerosol, Jérôme Mesnager, C215 adoptent le pochoir qui permet de répéter rapidement un même motif. Cette fois encore, la technique s'affine avec la multiplication des couleurs et des dégradés. Les personnages, de plus en plus détaillés, prennent des dimensions parfois spectaculaires. Le siècle se termine, chacun développe son propre style et l'histoire continue.
"La poésie est dans la rue." disait Blaise Cendrars (in Blaise Cendrars vous parle... Propos recueillis par Michel Manoll, Ed. Denoël, 1952). Loin de s'être essoufflé, le mouvement a encore gagné en diversité et en inspiration ces dernières années. Les médias et les réseaux sociaux se sont d'ailleurs largement emparés du phénomène. Dans les salles des ventes, les œuvres de quelques (rares) artistes atteignent des sommes records. Même si l'on aspire plutôt à découvrir leur travail dans l'espace public (la rue, les friches industrielles...) que dans des galeries, la reconnaissance de ces artistes par le marché de l'art est une bonne nouvelle.
La deuxième édition de la Urban Art Fair parisienne qui s'est tenue au Carreau du Temple du 20 au 23 avril 2017, a confirmé la tendance. Vingt-huit galeries françaises et internationales y exposaient cent-vingt artistes désormais incontournables (Banksy, Obey, Blek Le Rat, Speedy Graphito, Jef Aerosol, C215, Miss Tic, Invader, Cranio...), témoignant de l'éclectisme de l'art urbain qui exerce aujourd'hui son influence sur l'ensemble de la création contemporaine.
La Condition Publique 14, Place Faidherbe 59100 Roubaix tél. +33 (0)3 28 33 48 33 www.laconditionpublique.com