Depuis le 15 mars 2017, les éditions Cours toujours (Aisne) ont élargi leur catalogue au roman avec une nouvelle collection baptisée "La vie rêvée des choses". Deux ouvrages sont sortis en librairie simultanément : Angèle ou le syndrome de la wassingue de Lucien Suel et Briques à branques de Philippe Moreau-Sainz, deux écrivains talentueux "estampillés" Hauts-de-France ! Vendredi 5 mai 2017, les auteurs et leur éditrice Dominique Brisson étaient de passage à Amiens avec leurs livres pour deux rencontres dans la bonne humeur, l'une à la librairie Pages d'encre et l'autre à la librairie du Labyrinthe.
La maison d'édition confirme son attachement au patrimoine de notre grande région. Pour les auteurs qui participent à la jeune collection, le défi consiste à imaginer une fiction courte qui mette en scène un objet du Nord de la France. C'est donc la wassingue qui a inspiré Lucien Suel : cette serpillière (dont le nom change selon les régions) lui rappelait son enfance dans les Flandres artésiennes. Le poète a l'habitude de faire entendre des voix féminines, cette fois c'est la petite Angèle qu'il nous fait écouter. Les sept premiers chapitres du livre sont racontés par un narrateur extérieur ; dans le huitième, elle s'exprime à la première personne.
Angèle aux cheveux roux doit avoir huit ou neuf ans. Elle vit avec ses parents et son petit frère Pierre, à deux kilomètres du village où se trouve son école. Dans le Nord de la France sans doute, car le grand-père était mineur. Son paysage intérieur est d'une richesse toute singulière. "Angèle dans le monde prend tout à cœur, à vif. Ainsi soit-il. Ainsi soit-elle." Comme la wassingue de sa maison, la petite fille absorbe les émotions des autres, et les retient en elle sans plus pouvoir s'en départir. "À travers le temps, à travers l'espace, la fillette partage les joies et les peines de ses semblables. Elle ne comprend pas ce qui lui arrive mais l'accepte, avec une certaine crainte."
Angèle est totalement perméable au monde, visible et invisible. Chaque chose (Dieu et la nature même) prend la forme pour elle d'une expérience sensible : "C'est l'horizon qui m'attire. Je crois que mes yeux sont des bouches qui avalent le bleu du ciel, le blanc et le gris des nuages, les vagues du blé vert remuées par le vent au printemps." Le texte poétique de Lucien Suel chante une enfance au parfum suranné où rêverie et réel se confondent joliment. Angèle a le don de rendre le monde un peu meilleur même si "elle n'est ni une sorcière ni une fée. Elle sait qu'on ne pourra jamais faire disparaître toutes les cochonneries d'un seul coup de wassingue".
Dans Briques à branques de Philippe Moreau-Sainz, l'ambiance est plus loufoque. L'histoire commence le jour où Gigi fait irruption dans la vie de l'écrivain Charles Sixte, qui habite une maison massive, "assemblage très contemporain de trois cubes en briques noires aux larges ouvertures donnant sur les champs". "- Aidez-moi, je vous en supplie !" s'exclame l'individu avant de disparaître. Lorsqu'il revient plus tard muni d'une pelle, l'intrus s'explique assez vaguement : "Armande m'a dit : « Creuse et tu trouveras. »" À ce stade, le lecteur n'y voit pas plus clair que Charles Sixte mais peu à peu, l'objectif se dessine : "Elle a dit : ça résoudra tout. Alors faut que je creuse, que je trouve. Sinon, Gigi dehors, à la belle étoile, plus de maison."
Car "Armande est morte, enterrée, aplatie." La maison où vit encore Gigi va être saisie et vendue, il n'a pas d'argent pour la racheter. À moins qu'il ne trouve la solution à ses problèmes en retournant le jardin de l'écrivain. "Quand elle a dit : « suis la brique », j'ai pas demandé plus. Suivre la brique ici, c'est comme chercher une épingle dans une botte de foin, ça peut durer... Mais je m'en fous. J'irai au bout." Passée la stupéfaction, Sixte s'attache au personnage. "Sa silhouette sans âge, son visage à la fois ancien et juvénile, ce mélange de naïveté et d'expérience composent un portrait incongru qu'il serait passionnant de développer."
Rapidement, il s'associe à la "quête improbable" de Gigi et de son amie Paula, la patronne de L' Ara rouge. Haut en couleur, le trio s'engage dans une chasse au trésor pour le moins maladroite. De dialogues en situations cocasses, Philippe Moreau-Sainz parvient à nous embarquer dans une aventure tendre et inclassable. Ses personnages sont certes des "branques", mais après la lecture, on est content de les avoir connus.
Dans la nouvelle collection des éditions Cours toujours, les choses du Nord ne sont donc pas des prétextes à histoire. Elles deviennent un élément central de la narration. L'hommage littéraire à notre patrimoine est réussi. Les livres sont en outre des objets soignés à la couverture légèrement gaufrée. Les dernières pages sont dédiées à un Carnet de curiosités, jeu icono-graphique pour en voir davantage, sur la wassingue comme sur la brique.
20 allée des seigneurs de Lyons
02400 Epaux-Bézu
courstoujours-editions.com
contact@courstoujours-editions.com
06 84 84 12 73