La Bibliothèque nationale de France accueille jusqu'au 16 juillet 2017 une exposition consacrée au dessinateur Roland Topor (1938-1997) à l'occasion des vingt ans de sa disparition. Près de 300 pièces provenant de collections privées ou du fonds de la BnF y témoignent du génie créatif de l'artiste, fascinant et inclassable.
Après des études aux Beaux-Arts, Topor se fait connaître dès 1958 à travers ses dessins publiés dans Bizarre, une revue littéraire et artistique aux accents surréalistes, fondée par Michel Laclos. Son personnage phare porte un costume et un chapeau melon. Entre 1961 et 1966, Topor rejoint les dessinateurs d'Hara-Kiri (Reiser, Fred, Lob, Cabu, Gébé et Wolinski), un journal satirique crée par François Cavanna et Georges Bernier - alias le Professeur Choron - qui "part joyeusement en guerre contre les monstres Bêtise, Mensonge, Futilité, Injustice, Conformisme".
Son fameux "coup de poing dans la gueule" sert pour les affiches promotionnelles du journal dont l'humour grinçant lui sied bien. Topor remporte d'ailleurs le Grand prix de l'humour noir en 1961 pour son livre de dessins Topor Anthologie (Ed. J.-J. Pauvert).
Bien que ses dessins y soient le plus souvent déconnectés de l'actualité, Topor est très présent dans la presse française et internationale : Le Monde, ELLE, The New York Times, Libération, Die Zeit, ou encore L'Enragé lui font confiance. En 1976, il participe à la campagne d'Amnesty international pour dénoncer la torture qui s'exerce sur les prisonniers politiques. Son dessin noir et blanc représente un visage de profil dont la mâchoire est déboîtée par un coup de marteau, un motif qu'il a déjà exploité auparavant.
Topor, qui a l'habitude de fréquenter au Café de la Paix, place de l'Opéra à Paris, les artistes Fernando Arrabal et Alejandro Jodorowsky, fonde avec eux en 1962 "Le Panique" (référence au dieu Pan. En grec ancien Πάν / Pán signifie "tout"), qui revendique de n'être ni un groupe ni une école mais qui s'oppose aux autres mouvements d'alors, jugés trop consensuels. "Le Panique dévore, transgresse, désobéit et viole. Le Panique avale la morale et le consensus", précise Arrabal. Toutes les formes de l'art sont concernées par cette esthétique qui n'obéit à aucune règle et privilégie le hasard et la confusion. Sans se prendre au sérieux.
Bibliophile, aimant la lecture depuis son enfance (Dumas, Jarry, Stevenson, Maupassant, Jack London, Edgar Poe...), Roland Topor travaille beaucoup pour l'édition. Il illustre plus de cent livres, des classiques à grand tirage, des livres d'artiste ou des textes d'auteurs dont l'esprit lui est proche : Emmanuel Bove (L'histoire d'un fou, 1974), Félix Fénéon (Nouvelles en trois lignes, Ed. André Sauret, 1975), Boris Vian (Œuvre romanesque, Ed. André Sauret 1980), Charles Perrault (Contes, Imprimerie nationale, 1987), Jacques Sternberg (188 contes à régler, Ed. Denoël-Gallimard, 1988), Freddy de Vree (Cons de fées, Galerie C. von Scholz, 1988)...
Au départ en noir et blanc et assez sommaires, ses illustrations deviennent plus élaborées à partir des années 60. Il introduit la couleur dans les années 70, utilisant le crayon de couleur et l’aquarelle mélangés à l’encre de Chine. Les cent-vingt illustrations des Œuvres romanesques (Ed. Flammarion, 1977) de Marcel Aymé, qu'il évoque dans une vidéo sur l'exposition, sont particulièrement emblématiques de la qualité de son travail.
Topor, qui a décidément bien des cordes à son arc, est lui-même écrivain. En plus des recueils de dessins comme Les masochistes (Ed. E. Losfeld, 1960) ou Toporland (Ed. Balland, 1977), il écrit des nouvelles, des chansons et une dizaine de romans dont Le locataire chimérique (Ed. Buchet-Chastel, 1964) adapté au cinéma par Roman Polanski en 1976, Joko fête son anniversaire (Ed. Buchet-Chastel, 1969) lauréat du Prix des Deux Magots en 1970 ou Jachère-party (Ed. Julliard, 1996) qui - un an avant sa mort - met en scène un auteur déprimé : "Que suis-je d’autre qu'un lopin terre fatiguée ?".
Dès les années 60, le monde du spectacle devient un autre terrain d'expression pour Roland Topor dont le génie créateur ne connaît pas de frontière. Il conçoit ainsi les dessins du générique du film Viva la Muerte (1971) de Fernando Arrabal, ou ceux de la séquence de la lanterne magique dans Le Casanova de Fellini (1976) de Fédérico Fellini. Son travail sur La planète sauvage, film d'animation réalisé par André Laloux en 1973 est salué par la critique. Le film reçoit le Prix spécial du Jury au Festival de Cannes.
Topor participe aussi à l'écriture de scénarios notamment Les malheurs d'Alfred en 1972 avec Pierre Richard, Yves Robert et André Ruellan ou La fille du garde-barrière avec Jérôme Savary en 1975. Il crée des affiches pour des films ; celle du Tambour de Volker Schlöndorff sorti en 1979, est restée célèbre. Enfin, il apparaît dans plusieurs longs métrages réalisées par Raoul Ruiz, Werner Herzog, Pascal Thomas...
Côté télévision, il collabore dès 1967 à l'émission pour dames Dim, Dam, Dom puis il conçoit avec Henri Xhonneux et Eric Van Beuren, le fameux programme pour enfants Téléchat, dont 234 épisodes sont diffusés dans l’émission Récré A2. Les marionnettes originales de la série (le chat Groucha et l'autruche Lola) sont exposées à la BnF. Topor écrit aussi pour les émissions à succès de Jean-Michel Ribes : Merci Bernard (1982-1984) et Palace (1988). Dans les années 90, il imagine des costumes ou décors pour le théâtre et l'opéra et met en scène Ubu Roi d'Alfred Jarry au Théâtre national de Chaillot en 1992. Sa pièce L’Hiver sous la table est créée en septembre 1994 au Nationaltheater de Mannheim en Allemagne.
Au fil de sa vie, Roland Topor a composé une œuvre foisonnante qu'il n'a jamais consenti à enfermer dans le moindre carcan. Vingt années après sa mort, son univers protéiforme et anticonformiste n'a de cesse d'étonner, d'amuser, de déranger parfois. Il ne laisse jamais indifférent. Le burlesque et le monstrueux s'y côtoient, le bizarre y frôle la poésie et la mélancolie.
Topor fut un insatiable créateur, viscéralement épris de liberté. Sans doute son enfance y était-elle pour quelque chose. Fils d'immigrés juifs polonais (son père, Abram Topor, était peintre et sculpteur), Roland fut obligé de fuir le 10e arrondissement de Paris avec sa famille pendant la guerre, et de se cacher en Savoie sous une autre identité.
"Je suis né à l'Hôpital / Saint-Louis proche du Canal / Saint-Martin en trente-huit / Aussitôt j'ai pris la fuite / Avec tous les flics aux fesses / Allemands nazis SS / Les Français cousins germains / Leur donnaient un coup de main / En l'honneur du Maréchal / Pour la Solution Finale [...] Cette période historique / M'a insufflé la Panique / J'ai conservé le dégoût / De la foule et des gourous / De l'ennui et du sacré / De la poésie sucrée / Des moisis des pisse-froid / Des univers à l'étroit / Des staliniens des bouddhistes / Des musulmans intégristes / Et de ceux dont l'idéal / Nie ma nature animale" (Un beau soir, je suis né en face de l'abattoir Topor)
Le catalogue de l'exposition réalisé sous la direction des commissaires Alexandre Devaux et Céline Chicha-Castex est édité, en partenariat avec la BnF, par Les Cahiers dessinés, remarquable maison dirigée par Frédéric Pajak (voir mon article ICI) qui a déjà publié plusieurs livres sur Roland Topor.
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