Jacques Béal s'est éteint dans la nuit du 29 au 30 octobre 2017. Né à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) en 1946, il avait grandi à Chauny dans l'Aisne. Il considérait d'ailleurs comme sa véritable naissance le moment où il avait appris à lire et à écrire à l'Institution du Sacré-cœur. Journaliste de 1960 jusqu'à sa retraite en 2010, il avait travaillé pour le Courrier picard pendant 33 ans, notamment en tant que grand reporter et éditorialiste. Il évoquait ses passions successives pour les faits-divers, la chronique judiciaire, l'environnement, l'histoire et la vie politique.
Il était l'auteur d'une trentaine d'ouvrages (essais, beaux-livres, guides, biographies...) qui faisaient la part belle à la Picardie et à la Baie de Somme en particulier, "source de son inspiration". S'il vivait au Crotoy où il puisait "une énergie vivifiante", il avait aussi "le goût de l'Irlande", transmis par l'écrivain Michel Déon mort le 28 décembre 2016 à Galway. Il séjournait ainsi régulièrement à Ballyvaughan, petit village de la région du Burren dans le comté de Clare, ce "Crotoy-bis" dont il était tombé amoureux il y a une douzaine d'années : "un lieu de ressourcement et d'écriture."
Depuis quelques années, Jacques Béal avait choisi de se consacrer à l'écriture de romans. Dans Les Ailes noires (Presses de la cité, 2011), il revenait - après une biographie parue en 2008 - sur le destin exceptionnel de Bessie Coleman, première aviatrice afro-américaine. Son livre retrace le parcours atypique de cette femme insoumise née au Texas en 1892, arrivée en Baie de Somme en 1919 à l'âge de 27 ans pour y être formée à l'école d'aviation créée en 1910 par les Frères Caudron.
"Elle s'abandonna à la contemplation du paysage. Elle quitta la ligne bleue de la Manche au loin et se pencha. Bessie aperçut un magma bouillonnant, verdâtre, sillonné de lignes lumineuses : la baie avec les cheminements du fleuve à travers des accumulations de sable, de maquis herbus, de ruisseaux évaporés qui laissaient des traces argileuses. L'ensemble faisait penser à la chevelure d'une gorgone."
En 2012, Jacques Béal publiait Rendez-vous au sourire d'avril (Presses de la Cité), un roman mettant en scène "le petit peuple" du quartier Saint-Leu d'Amiens des années 50 aux années 70, à travers le personnage emblématique de Louise Bancquart, gérante du café éponyme (Voir mon article ICI). Ce livre témoignait de l'attachement de son auteur à Saint-Leu où il avait habité une dizaine d'années : "J'ai rencontré ici des gens exceptionnels de dignité et de solidarité malgré leurs conditions modestes. Cela m'a durablement marqué et je tenais à le dire !" écrivait-il ainsi.
Dans son dernier roman, La Griffue (Presses de la Cité, 2015), Jacques Béal mettait de nouveau à l'honneur une héroïne (fictive, cette fois) déterminée à faire valoir sa liberté et à réaliser ses rêves. Avec le personnage de Marie-Suzanne Fortin, surnommée la Griffue, il nous entraînait entre Boulogne-sur-Mer et Paris, de 1833 à 1848, dans l'univers des chasse-marées, "ces attelages lancés à vive allure sur la Route du Poisson pour livrer aux halles une pêche encore fraîche". Orpheline après le décès brutal de son père, la jeune femme décidait d'assumer la responsabilité de l'entreprise familiale, malgré l'hostilité d'une grande partie de son entourage.
Pour l'écriture de ses romans, Jacques Béal opérait avec la même rigueur que dans son métier de journaliste : recherches documentaires, repérages, rencontres... Mais il appréciait la liberté que lui offrait la fiction, d'autant plus qu'il se sentait à l'aise avec l'équipe éditoriale qui accompagnait son travail. Dans La Griffue, il faisait ainsi revivre avec précision - et poésie - la ville de Boulogne-sur-Mer devenue une station balnéaire prisée par les Anglais, et le quartier des Halles à Paris, vers la fin du 19e siècle, "ce bazar grandiose, aux fortes senteurs de la mer."
Grâce à ce troisième roman, Jacques Béal avait eu la joie de recevoir le Prix du Roman Populaire 2016. "Je suis très heureux d'être le lauréat de ce prix décerné par des lectrices et par des lecteurs (il y avait une quinzaine de romans dans la sélection avec quelques "poids lourds" !), soulignait-il. Je les remercie toutes et tous de m'avoir ainsi récompensé, ce qui constitue à la fois une reconnaissance et un encouragement pour mon œuvre en cours."
Autre satisfaction pour Jacques Béal, celle de voir son anthologie Les poètes de la Grande Guerre (Cherche-Midi, rééd. 2014) adaptée au théâtre. Le spectacle musical franco-anglais mis en scène par Jean-Luc Revol avec Tchéky Karyo et Edmund Hastings, était joué sur la scène de la Comédie de Picardie à Amiens, puis en tournée, au mois de novembre 2014 (voir mes articles ICI et ICI). En mai 2015, Jacques assistait à la représentation donnée dans le cadre du Festival de Brighton en Angleterre, "un moment magnifique qui compte dans la vie d'un créateur !", disait-il.
J'avais toujours plaisir à échanger avec Jacques, lors de nos rencontres dans les salons du livre ou ailleurs. Intelligent, humaniste, bon vivant et amical, passionné par de nombreux sujets, il a beaucoup œuvré pour faire connaître et aimer notre région. Ses livres avaient rencontré leur public, espérons que de nombreux lecteurs continueront à les découvrir. Toutes mes pensées vont à ses proches. Ses obsèques auront lieu lundi 6 novembre à 10h30 en l’église du Crotoy (80)
Reportage de la chaîne régionale Wéo à l'occasion d'une séance de dédicaces comme Jacques Béal les appréciait, le 23 janvier 2016 à la FNAC de Boulogne-sur-mer.