Dans son dernier livre, Je me souviens d'Amiens (Ed. Le Castor Astral), Jean-Louis Crimon égrène 480 textes courts commençant chacun par le fameux "Je me souviens". Une collection numérotée de souvenirs intimes et savoureux à la manière de Georges Perec en 1978. Notons que ce dernier écrivait lui-même selon le modèle du plasticien américain Joe Brainard (1941-1994) dont les premiers "I remember" furent publiés en 1970.
À la librairie Martelle jeudi 28 septembre 2017, l'auteur raconte la genèse de l'ouvrage. C'est son éditeur Jean-Yves Reuzeau qui lui en a fait la suggestion il y a quelques années. "J'ai longtemps pensé que je n'étais pas compétent pour le faire mais l'idée a cheminé ", indique Jean-Louis Crimon. Le 31 décembre 2016, seul chez lui, il écrit son premier "Je me souviens" dédié à la sensuelle statue de l'Horloge Dewailly :
"Je me souviens de Marie-sans-chemise, ma belle promise, quand Amiens la grise corne dans la brume du spleen des traîne-bitume. La Marie-sans-chemise, parente, c'est sûr, de la petite sirène d'Andersen. La Danoise et l'Amiénoise, frangines ou cousines."
D'autres souvenirs affluent, toujours au présent "et le 18 février, j'avais écrit les 480 !", s'amuse l'écrivain. Parfois, il suffit de tirer le fil de la mémoire. Né à Corbie en 1949, il n'a pas oublié son arrivée à Amiens en 1960. "Je me souviens du petit-séminariste qui ne tremble pas pour répondre « Non », sans hésitation, à la question du Père Supérieur. - Pensez-vous avoir la Vocation ? Petit-séminariste qui, sans en avoir conscience, se scie la branche du grec et du latin sur laquelle il prenait pourtant plaisir à épanouir son esprit de petit campagnard mal dégrossi." On l'invite à trouver "un bon métier manuel" mais il n'aura que faire de ces encouragements !
Après le lycée Lamarck d'Albert, il est licencié en philosophie, lettres et sociologie. D'abord professeur de philosophie, il devient journaliste en 1979 : "Je me souviens de mon premier article dans Le Courrier Picard et de son titre : « Rue du Bout-du-monde ». Une vraie rue de Renancourt, à l'époque petit village à l'ouest d'Amiens, désormais quartier de la grande agglomération."
Il intègre ensuite Radio France Picardie (devenue France Bleu) dont il prend la direction après sa mission d'envoyé spécial à Copenhague, et poursuit sa carrière à France Inter puis France Culture jusqu'en 2009. Crimon est avant tout un homme de radio, attaché aux sonorités des mots, mais l'écrit et le livre jouent un rôle important dans sa vie. Il sera même bouquiniste à Paris de 2010 à 2013 sur les quais de Seine.
"Je me souviens de Serge Helluin, « libraire-apiculteur » de la rue Léon Blum, et de sa façon bien à lui de m'inciter à butiner tous azimuts. Du commerce des mots dont il faisait son miel. De cette formule dont il avait fait un slogan publicitaire efficace : « Un homme qui lit en vaut deux, un lecteur fidèle en vaut quatre. »"
En 2001, il publie son premier roman Verlaine avant-centre (Ed. Castor Astral), récompensé notamment par le Prix Tristan-Bernard. "Je me souviens de la signature de Verlaine avant-centre, chez Martelle, un samedi de janvier 2001, de cette queue immense qui déborde sur le trottoir et sur la rue, et de cette voix, identifiable entre toutes, qui répète en boucle : « Je suis la mère de l'auteur ! Je suis la mère de l'auteur ! » L'auteur de mes jours, pas peu fière du fils devenu auteur tout court. »"
Empruntant à Pagnol, l'écrivain explique : "ce premier roman était plutôt à la gloire de mon père, mais quelques années plus tard, Rue du Pré aux chevaux (Ed. Castor Astral, 2004) a été le château de mère. C'est elle qui m'a mis dans la tête cette idée de raconter des histoires, c'est elle qui aurait dû en écrire."
Au fil de ces 480 "Je me souviens" énoncés sans chronologie, Jean-Louis Crimon revient en toute subjectivité sur les moments forts ou minuscules qui ont fait son attachement pour Amiens : "Je me souviens de cette ville, roman permanent. On ne tourne pas les pages avec la main, on parcourt le roman avec les pieds. Lecture paisible, pas à pas, de semelle en semelle."
Ce sont les hommes qui font les villes et ils sont nombreux – illustres ou méconnus – à avoir retenu l'attention (et l'affection) de Jean-Louis Crimon. Un index recense leurs noms en fin de livre. Jules Verne figure emblématique, Choderlos de Laclos, Jean Colin d'Amiens, Magnence l'empereur romain, "Michou, enfant de Saint-Leu, prince des nuits parisiennes", Édouard David, Jean-Pierre Facquier, Jean-Louis Rambour et Le Mémo d'Amiens... Derrière les noms, bien souvent, une histoire d'amitié. "Je me souviens qu'il y a « amie » dans Amiens. Cette ville est mon amie. Je suis le sien." Car ce sont aussi les rencontres humaines qui ont fait de l'auteur ce qu'il est aujourd'hui : " je ne serais rien sans ces gens", déclare-t-il tout net.
Chaque paragraphe du livre est envisagé comme un début de roman que le lecteur est invité à poursuivre en lui-même. À travers son cortège de souvenirs personnels, c'est la mémoire de tous ceux qui aiment cette ville que l'auteur offre de réveiller. Lorsqu'on y est né, lorsqu'on y a vécu, impossible de rester insensible au passé ressurgi dans ces lignes. Quelques pages laissées blanches à la fin de l'ouvrage laissent au lecteur l'opportunité, à son tour, d'écrire quelques souvenirs.
"Je me souviens de l'inessentiel et du dérisoire, du banal et du sans importance. De la beauté sublime des matins de brume dans les Hortillonnages."
Mercredi 4 octobre 2017 à 18h30 à la Comédie de Picardie (62 rue des Jacobins 80 000 Amiens), lecture par Jean-Louis Crimon de son ouvrage Je me souviens d'Amiens (Ed. Castor Astral). Avec la complicité de l'auteur et metteur en scène Yakoub Abdellatif. Entrée libre et gratuite.