212 pages Éditions Flammarion jeunesse Format : 13,5 x 21 cm EAN : 9782081413207 3 janvier 2018 - Prix 12 €
Fil de fer (Ed. Flammarion jeunesse), le dernier roman de l'Amiénoise Martine Pouchain, se déroule en 1940. Gabrielle, la narratrice, a quinze ans. Fil de fer est son surnom. Elle vit avec ses trois sœurs et leurs parents dans la petite ferme familiale de Mesnil-en-Arrouaise, au nord de la Somme. Prisonnier durant la Première guerre, son père a échappé à la mobilisation. "En dépit du fait que la Somme semblait être un champ de bataille de prédilection, personne n’avait sérieusement pensé qu’on aurait à se battre encore contre les mêmes ennemis alors qu’une vie d’homme n’avait pas eu le temps de s’écouler." C'est bien le cas pourtant. Et le bruit de la guerre se rapproche.
Dans la nuit du 11 mai 1940, le village est bombardé par les Allemands. Le message du maire est sans ambiguïté : "Je conseille à tous ceux qui peuvent le faire de déguerpir sans perdre une minute." Les parents de Gabrielle hésitent. Tout abandonner ? La ferme, les animaux ? Un tel départ est un arrachement mais ils choisissent de fuir l'avancée des Allemands. La famille se met en route, avec une charrette et trois chevaux, en direction de la Bretagne. Une vieille amie de la mère habite à Antrain-sur-Couesnon, en Ille-et-Vilaine ; ce sera leur destination.
Pour Gabrielle, adolescente curieuse éprise de poésie, dont l'imagination est bien trop vaste pour tenir dans les limites étroites de son village, ce départ inattendu est "une catastrophique aubaine, que sans la guerre on aurait pu attendre encore longtemps." Ainsi, quand l'inconnu surgit enfin dans la vie de la jeune fille, le danger et la peur n'éteignent pas l'exaltation. "Le monde de mon enfance rayonnait sur dix kilomètres. Quinze peut-être. Ce qui se trouvait au-delà, on en avait entendu parler, mais on n’avait aucune preuve de son existence."
Comme huit à dix millions de civils en mai-juin 1940, la famille est jetée sur les routes : Albert, Poix, Gisors... des jours et des jours de marche, en convoi, avant d'atteindre la Bretagne. La fatigue, la chaleur, et le bourdonnement terrible des Stukas (de l'allemand Sturzkampfflugzeug, "avion de combat en piqué") sont le lot quotidien de la jeune Gabrielle. Sa rencontre avec Gaétan, seize ou dix-sept ans, un "garçon très beau, très brun, aux yeux très bleus" malgré les circonstances tragiques, la fait complètement chavirer.
"Tu n’es pas comme les autres filles de fermier, m’a dit Gaétan brusquement. Ça, je l’avais toujours su, mais c’était la première fois que ça sonnait comme un compliment. Personnellement, je me trouvais moche, trop maigre, pas assez intelligente, et j’avais une peur atroce qu’aucun garçon ne tombe amoureux de moi, jamais." Commence alors une autre histoire pour Gabrielle, dont l'auteur déroule le fil avec une grande maîtrise, jusqu'à la dernière page.
Martine Pouchain a déjà écrit sur la guerre, le sujet lui tient à cœur (Cf. mon article ICI). Avec Gabrielle, le lecteur se laisse entraîner sur les routes de cet exode resté gravé dans la mémoire des survivants. On pense, bien sûr, aux mouvements migratoires d'aujourd'hui. Dans un style fluide et précis, caractéristique de l'auteur, l'héroïne décrit cette expérience et l'émoi des premiers sentiments amoureux. Insensible aux sirènes du nationalisme, elle porte en outre un regard clairvoyant sur la guerre : "Allez dire à quelqu’un que son fils se bat pour que les marchands de canons puissent se remplir les poches." Les vers de Rimbaud qui émaillent le récit, la présence de Giono, achèvent de donner au roman - conseillé à partir de treize ans - sa couleur particulière.
"Tandis qu'une folie épouvantable, broie
Et fait de cent milliers d'hommes un tas fumant ;
− Pauvres morts ! dans l'été, dans l'herbe, dans ta joie,
Nature ! ô toi qui fis ces hommes saintement !..."
Le Mal - Arthur Rimbaud