"Enfant, je n’avais pas envisagé de devenir une personne normale." Ainsi commence le premier roman de Lisa Balavoine, Éparse (JC Lattès), un ouvrage très personnel composé d’une suite de fragments courts - une seule phrase quelquefois - dans lequel la narratrice se livre à une forme d’inventaire, un état des lieux à mi-chemin de son existence. "Je voudrais bien parler d’autre chose que de moi. Mais je me tourne autour et je ne me connais pas."
Est-ce pour mieux se connaître que Lisa Balavoine, née en 1974, divorcée et mère de trois enfants, professeur-documentaliste dans un lycée professionnel d’Amiens nord, s’est lancée dans l’écriture ? Au départ elle écrivait sur des blogs, et à force de lire ou de s’entendre dire : "quand tu parles de toi, j’ai l’impression que c’est ma vie dont il s’agit", elle a décidé de s'éloigner du virtuel et de tenter l’aventure. À partir des textes qu’elle aimait le plus, elle a construit le reste. "L’aspect fragmentaire était évident, la forme devait épouser le fond", explique-t-elle.
Son contrat eux éditions Jean-Claude Lattès est signé en octobre 2016, lui offrant le sentiment de légitimité qui lui faisait cruellement défaut. Avec son éditrice, Lisa retravaille beaucoup et prend du recul par rapport à son texte. "Écrire les événements, ça les met à distance, même si ce sont ceux de votre vie. D’autant que la mémoire est subjective, partielle et souvent mensongère. Plus que l’autofiction, j’aime ce qu’ Aragon appelait « le mentir vrai ». L’écriture, c’est broder."
De listes en citations, de souvenirs intimes en considérations générales, Lisa brode donc, et sous des dehors décousus ("Je suis une fille particulièrement décousue", lit-on dans Éparse), elle se révèle peu à peu. Plusieurs lignes narratives s’entrelacent dans le livre : l’enfance et le divorce précoce de ses parents ("Je suis l’unique preuve que mes parents aient été ensemble"), la rupture avec le père de ses enfants ("J’ai quitté quelqu’un que j’aimais. Je ne sais pas si on peut se pardonner cela"), la relation chaotique avec sa mère ("Tu es comme moi, tu as raté ta vie"), l’amour avec un autre homme ("En un rien de temps, j’ai flairé le diamant brut dissimulé sous l’apparence du pauvre type"), la maternité ("je voudrais qu’ils soient encore dans mon ventre parfois et sentir leurs coups de pied contre mes parois et leur vie qui se cache dans la mienne").
Flirtant souvent avec la poésie (anaphores, rythme, sonorités), la langue de Lisa Balavoine est inventive. Son texte est parsemé de néologismes comme "COUPLABILITÉ", "MÉLANCOLLECTION" ou "NOSTALGYMNASTIQUE (n.f.) : stimulation mnésique de la pensée qui consiste à regretter de façon répétée des sensations, des objets ou des lieux disparus afin de provoquer leur résurgence." Ces mots lui sont venus spontanément, déclenchés par le récit de tel ou tel épisode. "Pour moi, la narratrice cherche à se définir, et elle se définit avec ses propres mots. Et par ses références culturelles également." Celles-ci sont omniprésentes dans le roman, la musique en particulier. Arnold Turboust, Les Nuits fauves, USA for Africa, La Isla bonita, Nirvana, Le Grand bleu, Chagrin d’amour, 37°2 le matin… pour qui a grandi dans les années 70, Éparse distille un doux parfum générationnel que l’auteur n’a pas recherché mais qui lui correspond, forcément.
"Si je ne devais garder qu’un seul roman, je serais bien emmerdée, mais je crois tout de même qu’il s’agirait de Haute fidélité, de Nick Hornby : des listes, de la musique et des histoires d’amour ratées. Un bon résumé de ma vie", écrit Lisa. S’il fallait retenir une chanson, ce serait Sad Lisa de Cat Stevens, parce qu’elle lui doit son prénom, parce que c’est un souvenir de ses parents ensemble. "La chanson en elle-même est d’une tristesse ! Je pense que quelque part, ça a coloré mon enfance", confie-t-elle.
Les fragments d’Éparse composent un portrait de femme d’aujourd’hui, sans fard, "fragile et indestructible", "punk-rock et sentimentale". Une parole libre. Le kaléidoscope d’une femme émouvante, assumant ses échecs et ses incohérences dans un monde qui les pardonne trop peu. L’écriture de ce roman a aidé Lisa à se regarder autrement, avec davantage d'indulgence. "Ce texte a été écrit il y a quelques années, j’avais à peine 40 ans, la quête de perfection maintenant, c’est derrière moi." Touchée par les résonances que les lecteurs trouvent entre son livre et leur propre vie, Lisa a gagné en confiance. Éparse, mais bien vivante.