Le tome 1 des États généraux du Livre organisés par le CPE (Conseil permanent des écrivains) qui regroupe l’ensemble des associations d’auteurs du livre s’est tenu mardi 22 mai 2018 à la Maison de la Poésie (Paris, 3e) devant une salle comble. Alors que des réformes d’envergure doivent affecter leur régime social et fiscal au 1er janvier 2019, les #AuteursenColère s’insurgent depuis plusieurs mois contre l’absence totale de concertation des pouvoirs publics avec la profession (voir ICI mon article sur la mobilisation au dernier Salon du livre de Montreuil). La pétition "Pas d’auteurs, pas de livres" expliquant le malaise des auteurs, affichait plus de 27 000 signataires à la veille de ces États généraux.
Trois tables rondes se sont succédé pendant l’après-midi, chacune émaillée de paroles d’auteurs sur la réalité de leur métier (un peu d’âme au cœur de débats souvent techniques) : 1. "Réformes fiscales et sociales : Les auteurs oubliés ?" 2. "2019, L’année de tous les dangers pour le régime des auteurs" 3. "Et demain ? Faut-il ré-inventer un régime social pour les auteurs ?". Représentant la ministre de la Culture dont la chaise était restée symboliquement vide sur scène (tout comme celles du président de la République ou du Premier ministre), Martin Ajdari, directeur général des médias et des industries culturelles, a pris la parole après l’introduction de Pascal Ory, historien et président du CPE.
Il a confirmé qu’une réunion se tiendrait le 21 juin prochain "pour répondre aux inquiétudes" entre les organisations d’artistes auteurs, l’Acoss (Agence centrale des organismes de sécurité sociale), la Direction de la Sécurité Sociale et les services du ministère de la Culture. Geoffroy Pelletier, directeur de la SGDL (Société des Gens de Lettres), évoquera plus tard l’attente d’une telle concertation depuis 2013… Une mission conjointe IGAC (Inspection Générale des Affaires Culturelles) et IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales) est en outre chargée de plancher sur les dossiers qui mobilisent les auteurs. Ses conclusions seront rendues avant la fin juin… et les questions ne manquent pas.
La hausse de la CSG de 1,7 % qui ne peut pas être compensée chez les auteurs par la baisse de la cotisation chômage - ils n’en ont pas - implique une diminution mécanique de leurs revenus. "138 € par an !", souligne Samantha Bailly, vice-présidente du CPE et présidente de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse qui affirme n’avoir jamais senti un climat aussi morose au sein de la profession. Alertée depuis plusieurs mois sur cette question, Françoise Nyssen a fait publier le 15 mai (en urgence ?) un décret permettant de "garantir aux artistes-auteurs le maintien de leur pouvoir d’achat en leur faisant bénéficier, pour l’année 2018, d’une aide financière tendant à compenser strictement la fraction de la hausse de la CSG restant à leur charge."
Cette aide égale à 0,95 % de l’assiette des revenus artistiques sera versée aux auteurs affiliés à l’Agessa (Association pour la Gestion de la Sécurité sociale des Auteurs) mais pas aux 185 000 auteurs assujettis ou précomptés. Aucune compensation donc pour ces derniers qui cotisent mais ne bénéficient pas de la couverture sociale des artistes-auteurs car leurs revenus annuels dans ce domaine n’atteignent pas 900 fois la valeur horaire moyenne du Smic (soit 8 784 € pour 2017, moins que le seuil de pauvreté) ou parce qu’ils bénéficient de la protection sociale liée à une autre activité. Cette aide est prévue uniquement sur 2018, il faudra pour la mission IGAS/IGAC "identifier une solution pérenne pour l’avenir".
Au 1er janvier 2019, le recouvrement des cotisations et contributions dues sur les rémunérations des artistes-auteurs jusqu’ici confié à l’Agessa, sera transféré à l’Urssaf Limousin. La distinction entre affiliés et assujettis disparaîtra et le prélèvement de la cotisation retraite de base interviendra dès le premier euro de droits d’auteur perçu. Sur les modalités du transfert vers l’URSSAF, et ses conséquences, Thierry Dumas le directeur de l’Agessa/MDA (dont les effectifs passent de 90 à 20 personnes) a expliqué que les réunions techniques n’avaient pas encore commencé et que lui-même avait été informé du changement de mode de recouvrement par un simple courriel à l’été 2017…
En ce qui concerne la réforme de la formation professionnelle à laquelle les artistes-auteurs n’ont pas non plus été associés, Thierry Teboul le directeur de l’AFDAS (Assurance Formation des Activités du Spectacle) qui forme 4500 artistes-auteurs chaque année, admet aussi être dans le flou malgré ses multiples demandes d’information aux pouvoirs publics : "je suis devenu moi-même un artiste-auteur spécialiste de la note !".
Les échanges ont été particulièrement houleux avec la salle au moment d’évoquer le prélèvement de l’impôt à la source qui interviendra pour tous les Français dès le 1er janvier 2019. Selon les auteurs qui ne peuvent pas anticiper le montant de leurs revenus et qui n’ont connaissance de leurs droits d’auteur qu’une fois par an (au moment de la reddition des comptes par les éditeurs), la mise en œuvre de ce prélèvement n’est clairement pas adaptée aux contraintes de leur métier et à la fluctuation de leurs ressources.
Les réponses techniques d’Olivier Trébosc, de la direction de la législation fiscale au ministère de l’Économie et des Finances, n’ont pas réussi à apaiser les esprits et cette question a fait resurgir la nécessité de créer un outil qui permette de connaître les ventes de livres "en sortie de caisse" pour donner de la visibilité aux auteurs sur leurs revenus.
La révision de la circulaire du 16 février 2011 sur les revenus accessoires liés aux interventions scolaires, lectures, etc. fait aussi partie des revendications. Il convient d’ailleurs plutôt de les appeler "revenus connexes" eu égard à ce qu’ils représentent aujourd’hui dans l’activité des auteurs. "Cette circulaire était un compromis mais elle n’est plus adaptée, qu’attend-on pour la réviser ?", s’est agacée Marie Sellier, présidente de la SGDL. Encore une question sur laquelle devra se pencher rapidement la mission IGAS/IGAC.
Au cours de la dernière table ronde consacrée à l’avenir, Vincent Montagne, président du SNE (Syndicat National de l’Édition), a dénoncé les méthodes abruptes du gouvernement, évoqué les difficultés du secteur éditorial et sa solidarité avec les auteurs, rappelant que tous faisaient partie de la même chaîne. Pour Vincent Monadé, président du CNL (Centre National du Livre), "c’est la chaîne du livre qui globalement ne va pas bien."
Il a évoqué plusieurs pistes pour y remédier : questionner l’intérêt de la remise de 5 % accordée par les libraires, diminuer la TVA de 5,5 à 2,1 %, taxer les GAFA (géants du web) qui "pillent les producteurs de contenus sans rien reverser". Il a par ailleurs déploré que les auteurs ne s’emparent pas suffisamment des outils comme les bourses ou les résidences. Une réflexion est en cours au CNL sur la possibilité qu’un auteur ait le droit de cumuler les deux.
Si toute la chaîne du livre est aujourd’hui en souffrance, la création est sans doute son maillon le plus faible puisque 41 % des auteurs considérés comme professionnels gagnent moins que le SMIC. Samantha Bailly a évoqué le cas de l’Allemagne qui a opéré un distinguo entre auteurs amateurs et auteurs professionnels, ces derniers bénéficiant d’une protection totale. Leurs revenus y ont quadruplé en dix ans et un auteur sur deux y est représenté par un agent.
Marie Sellier a formulé diverses propositions qui pourraient financer un statut social moins précaire pour les auteurs : une taxe sur les œuvres tombées dans le domaine public, une redevance sur les livres d’occasion, un prélèvement sur l’ensemble des ventes de livres ou une augmentation de la contribution diffuseur (1,1 % actuellement). Corinna Gepner, présidente de l’ATLF (Association des traducteurs littéraires de France) a rappelé que le régime social des auteurs était "un édifice intelligent construit sur la pratique" dont on ne devait pas faire table rase.
"L’histoire des Lettres est aussi l’histoire des moyens d’existence de ceux qui ont pratiqué l’art d’écrire « à travers les âges »." Paul Valéry (1937) cité à la tribune par Benoît Peeters
Au final, ce sont les mots "mépris" (ressenti dans l’attitude des pouvoirs publics) et "équité" (revendiquée par les auteurs) qui ont certainement été le plus souvent cités au cours de ces premiers États généraux du livre. Jean Rouaud a ainsi dénoncé le fait que "l’auteur soit une variable d’ajustement compressible à souhait". Denis Bajram, co-fondateur du SNAC BD et des États généraux de la bande dessinée, a mis en garde contre le risque d’explosion de "l’énorme colère qui se manifeste chez tous les auteurs précarisés". La profession a montré ces derniers temps qu’elle pouvait se mobiliser massivement (les réseaux sociaux offrant l’opportunité de rompre l'isolement) et mobiliser les lecteurs afin de faire pression sur les décideurs.
Dans sa conclusion, Pascal Ory a considéré que malgré le manque d’éclaircissements, ces États généraux allaient peser. À l’Assemblée nationale, la députée REM des Hauts-de-Seine, Frédérique Dumas, a déjà interpellé Agnès Buzyn, la ministre des Solidarités et de la Santé, comme elle s’y été engagée la veille devant les auteurs. Il est évident en effet que les enjeux liés à leur statut dépassent le périmètre du ministère de la Culture ; ce sont les Affaires sociales et les Finances qu’il faut vraiment convaincre. Les semaines qui viennent seront à cet égard déterminantes.
Au printemps 2019, le tome 2 des États généraux du livre sera consacré au modèle économique et au partage de la valeur entre auteurs, éditeurs, diffuseurs… "Il n’y a pas de mobilisation, il n’y a que des preuves de mobilisation", a conclu Pascal Ory, détournant la formule sur l’amour du poète Pierre Reverdy.