Samedi 1er décembre 2018 lors du Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil (Seine-Saint-Denis), Léa Mazé a reçu des mains de Laurent Mélikian et Fabrice Piault le 3e Prix jeunesse décerné par l’Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée (ACBD), pour le premier tome de sa série Les Croques, "Tuer le temps", paru en septembre dernier aux éditions de la Gouttière.
Il ne pouvait être à Montreuil mais comme le veut la tradition, Pascal Jousselin, lauréat du prix en 2017 pour le tome 1 d’Imbattable (Ed. Dupuis), a offert à Léa un strip original dans lequel un personnage affirme (à ses dépens) que la bande dessinée est de la sous-littérature. Sans doute une réponse en quatre cases aux propos tenus par le philosophe Alain Finkielkraut en 2008, au cours d’un entretien accordé à Libération...
C’est donc la deuxième fois en trois ans (après Dawid et Frédéric Maupomé en 2016 pour le tome 2 de la série Supers) que la maison d’édition amiénoise remporte ce prix visant à "soutenir et mettre en valeur, dans un esprit de découverte, un livre de bande dessinée destiné au jeune public, publié en langue française, à forte exigence narrative et graphique, marquant par sa puissance, son originalité, la nouveauté de son propos ou des moyens que l’auteur y déploie". Une belle reconnaissance pour Léa Mazé dont le premier livre, Nora (Ed. de la Gouttière), a été publié en 2015.
Les Croques met en scène deux jumeaux de onze ans, Céline et Colin, dont les parents tiennent une entreprise de pompes-funèbres sur le lieu même de leur habitation… en bordure du cimetière. Un cadre de vie plutôt singulier pour une famille. Et c’est précisément le décalage entre l’énergie débordante des enfants et l’austérité des lieux que Léa - elle-même adepte des promenades dans les cimetières - a souhaité explorer. Comment peuvent se développer les activités et l’imaginaire de deux enfants confrontés quotidiennement à la mort, en l’occurrence fonds de commerce de leurs parents ? "C’est pas juste… Y’a rien à faire ici, tout est triste, et dès qu’on s’amuse on se fait engueuler…", résume le jeune Colin.
Cet album, toujours à hauteur d’enfant, permet aussi à Léa d’aborder un thème qui lui tient à cœur : le harcèlement scolaire. Au collège, les jumeaux sont la cible des autres élèves qui multiplient les brimades et moqueries en lien avec le métier de leurs parents : "T’as peur qu’on sente ton haleine de cadavre ?!", "Ça pue le cadavre quand tu parles." etc. Difficile pour eux dans ces conditions, de rester calmes et concentrés sur leur travail. Les punitions pleuvent et ils sont renvoyés deux jours de l’établissement, au grand dam de leurs parents excédés.
Pour "tuer le temps", ils se retrouvent au cimetière en compagnie de Poussin, le graveur funéraire. Celui-ci les incite à mener l’enquête sur l’étrange signe "V" qui apparait sur certaines tombes. Ni une ni deux, Céline et Colin se lancent dans l’aventure et l’histoire prend alors des allures de polar. Il faudra attendre les deux prochains tomes de la trilogie pour voir de quelle manière ils vont résoudre l'énigme.
Originaire du Finistère, Léa Mazé a d’abord suivi la filière cinéma d’animation de l’école Estienne (Paris) avant de se former à la bande dessinée. Avec Les Croques, conseillé dès 8 ans, elle confirme sa maîtrise de la narration graphique : le cadrage, les décors, les cliffhangers, le jeu sur les couleurs pour intensifier tel ou tel épisode… Le rythme de l’action, associé à la psychologie fine des personnages forment un ensemble réussi qui captive le lecteur.