Paru en septembre 2018, À travers (Ed. Thierry Magnier), le livre de l’illustrateur français Tom Haugomat, n’est pas passé inaperçu, c’est le moins que l’on puisse dire. Après avoir figuré dans la sélection des Pépites 2018 du Salon du livre et de la Presse jeunesse de Montreuil (catégorie livre illustré) puis dans la sélection officielle du 46e Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, il vient d’être récompensé par une Mention spéciale aux Bolognaragazzi award (catégorie fiction) qui seront remis lors de la Foire du livre de jeunesse de Bologne le 1er avril 2019.
À travers relève le défi de raconter la vie d’un homme américain en 184 pages muettes. L’histoire se déploie sur des doubles pages construites selon un procédé systématique. Sur la page de gauche, une image du héros en situation et sur celle de droite, l’image plus grande de ce qu’il est en train de voir à travers un prisme toujours renouvelé : les barreaux de son lit de bébé, l’objectif d’un appareil photos, les rayonnages d’une bibliothèque, le hublot d’un avion…
Sur chaque double-page figurent uniquement la mention de la date, une année après l’autre, et celle du lieu où il se trouve. De sa naissance en décembre 1955 à Mud Bay, Ketchikan, Alaska, jusqu’à sa mort en avril 2026 au même endroit. Le livre n’est pas sans faire penser au génial ICI (Gallimard, 2015) de Richard McGuire, Fauve d'Or 2016 du FIBD d’Angoulême (Voir mon article ICI).
Entre les deux dates, une existence défile, celle d’un enfant passionné par l’aviation qui réalise son rêve de devenir astronaute. Une vie de fils et de père. Une vie de joies et de peines, de succès et de solitude, partagée entre le goût de l’infiniment grand - la conquête de l’espace - et celui, plus tardif, de l’infiniment petit. C’est la vie d’un homme parmi des milliards d’autres dans l’univers, avant et après lui, dans ce qu’elle a de plus banal et de prodigieusement unique.
Tom Haugomat excelle dans l’exercice de style qu’il s’est imposé. Ses images numériques au graphisme épuré délivrent le nécessaire en quelques traits sans jamais faire obstacle à l’émotion du lecteur. Minimaliste, il est allé jusqu’à effacer les visages ! Insatisfait de ce qu’il obtenait en dessinant les yeux, le nez, la bouche de ses personnages, il a choisi de les faire disparaître. Leur absence, associée au grand soin qu’il porte aux silhouettes et aux postures, est un formidable accélérateur d’imagination pour le lecteur.
Côté couleurs, il travaille sans encrage, en quadrichromie par superposition d'aplats qui confèrent une grande élégance à l’album. Si la réussite technique est incontestable, c’est surtout la poésie émanant de cet ouvrage qu’il faut saluer. Difficile, en effet, de rester insensible à cette série d’instantanés qui dessinent la trajectoire particulière d’un homme en gardant leur dimension universelle.
Sorti de l’école des Gobelins en 2008, Tom Haugomat s’est d’abord lancé dans l’animation en réalisant avec Bruno Mangyoku le court-métrage Jean-François (Arte, 2009). Son premier livre en tant qu’illustrateur, Marche ou rêve avec Sika Gblondoumé, paraît en 2012 aux éditions CMDE. En octobre 2014, il publie Hors-pistes (Ed. Thierry Magnier), avec Maylis de Kerangal qui a imaginé son histoire d’après les illustrations déjà achevées. C’est d’ailleurs elle qui signe la quatrième de couverture d’À travers.
Tom Haugomat travaille aujourd’hui pour la presse internationale et planche sur un projet d’adaptation littéraire. Il est aussi capable de mettre sa palette au service du spectacle vivant ! Le 20 janvier 2019, il était sur la scène du festival littéraire Le goût des autres au Havre, avec la compagnie Sac de Nœuds et la comédienne Julie Martigny, pour illustrer une adaptation ingénieuse et festive du Tour du monde en quatre-vingts jours (Pierre-Jules Hetzel, 1872) de Jules Verne. Et toujours avec style !