Rencontre avec Éric-Emmanuel Schmitt proposée par la librairie Martelle à la Maison de la Culture d'Amiens le 15 octobre 2019 au sujet de son livre Journal d'un amour perdu (Albin Michel)
"Écrire un livre est une nécessité dont on comprend le besoin après. Je n'avais pas cru qu'un petit garçon restait autant au fond de moi jusqu’à ce que ma mère ait disparu. Je n'étais que tristesse. Mais contrairement au sentiment que j'avais, ce n'était pas une errance, il y avait un chemin. Un trajet de reconquête du bonheur d'exister. Quand j'ai vu que se redessinait le chemin de la vie, j’ai eu envie de le partager dans un livre.
On ne peut pas être heureux si on ne prend pas la décision d'être heureux. Parfois, on n'y arrive pas évidemment. j'étais dans mon chagrin comme à la maison mais être heureux ça se décide d’abord, comme le pardon, et ça finit par se vivre. Ma mère était une femme lumineuse qui m'a donné la vie heureuse. À sa mort, j'ai d'abord perdu une personne avec qui j'aurais pu m'entendre même si elle n'avait pas été ma mère. L'avenir change de forme quand on n'est plus l'enfant de personne. L'avenir devient un mur précis sur lequel vous allez vous fracasser à votre tour. Au début c'est angoissant, puis il faut le prendre comme une incitation de plus à vivre intensément. Et la seule solution pour exister intensément, c'est le présent. Le passé est devenu pour moi un enrichissement et non plus un refuge.
Je raconte un trajet, je le devais à ma mère qui était un professeur de joie. Si on regarde la vie sous le mode du manque, la vie est triste. On essaie plutôt de se réjouir de ce qu'on a et de regarder la vie sous le mode de la joie. C'est le pouvoir de la sagesse. La foi n’enlève rien au chagrin. C'est ici, là maintenant qu'on souffre de la mort de quelqu'un. Je n'aime pas quand on décrit la fois comme un opium. La foi ne facilite pas la vie, ne rend pas insensible à la douleur. La foi n'aide pas, parce qu'elle n'est pas là pour ça. La beauté soigne, c'est toujours elle qui m'a fait réépouser le monde. J'ai décidé d'activer en moi tous les grands émerveillements que ma mère a pu me donner. C'est comme ça que j'ai l'impression de continuer sa vie à elle, en étant un fils à jamais."