Vendredi 8 novembre 2019, le journaliste et écrivain Jean-Louis Crimon présentait à la librairie Martelle d'Amiens avec son éditeur Philippe Lorenzo, L’Hortillon des mots (Soleils bleus éditions), son dernier livre dans lequel il s’intéresse à la manière dont les écrivains se sont emparés des hortillonnages, jardins flottants qui se déploient sur 300 hectares en plein cœur d’Amiens.
C’est dans une lettre à ses parents datée du 12 janvier 1961 que Jean-Louis, alors élève de sixième au petit séminaire d’Amiens, découvre les hortillonnages : "Chers parents, je suis très content de savoir que l'on va à Arras aussi je pense avoir une sortie d'honneur. Nous revenons de promenade nous avons été à la caisse d'épargne à Saint-Pierre et à Camon. En revenant, nous avons vu les hortillonnages, l'eau est gelée." Sa mère lui remet cette lettre vers la fin de sa vie, soigneusement rangée dans une boîte en carton avec les autres rédigées au cours de son année de sixième : "le plus beau des cadeaux" selon lui.
Des années après le petit séminaire, Jean-Louis est devenu professeur de philosophie puis journaliste. À Radio France Picardie, France Inter et France Culture qu’il quitte pour devenir bouquiniste, quai de la Tournelle à Paris, entre 2010 et 2013. C’est à cette époque qu’il tombe chez un confrère sur un livre "qui fait tilt" : La Barque sur le Rieu (Imprimerie moderne, années 20) de l’écrivain et architecte Gaston Chantrieux (1872-1947). Auteur dont le nom, d’ailleurs - Chante-rieux - est particulièrement en phase avec le propos ! Dévoré dans un café du quartier Saint-Michel, "Le livre n’était là que pour moi", affirme Jean-Louis Crimon.
La lettre à ses parents, la découverte de ce roman et une rencontre avec l’éditeur Philippe Lorenzo à la librairie Martelle sont les trois éléments qui ont convaincu Jean-Louis Crimon de se lancer dans l’entreprise L’Hortillon des mots. Dans son livre, "balade poétique et littéraire dans les hortillonnages", il recense donc les ouvrages qui évoquent les fameux jardins. "J’ai choisi des extraits de chaque œuvre, explique-t-il, mais je n’ai pas voulu faire des résumés ou des synthèses très précises, L’Hortillon des mots est plutôt une incitation fugitive à vous plonger dans la lecture de ces auteurs-là."
À commencer par Édouard David (1863–1932), "Tchot Doère" (petit Édouard), poète et écrivain picard du quartier Saint-Leu qui publie Chés Hortillonnages en 1900. Le poète Pierre Garnier (1928-2014) figure aussi dans le livre avec La Somme : "là-bas, là-haut, dressée, / la toute jeune cathédrale / tout alors devient apesant, / l’hortillon, sa barque, ses légumes / naviguent dans le temps. / Dans l’éternel." Citons encore Joseph Bellemère (1887-1929) auteur de Amiens (Roger Léveillard, 1928) ou Ginette Hirtz avec son récit Les hortillonnages sous la grêle (Mercure de France, 1982), l’histoire vraie d’une famille juive amiénoise sous l’Occupation.
Jean-Louis Crimon n’oublie pas la création contemporaine, s’intéressant par exemple au polar de Florence Altemani, Dans les Hortillonnages (Ravet-Anceau, 2014), au Fils de Jean-Jacques (Gingko Editeur) publié par Isabelle Marsay en 2002 ou au récent roman de Lisa Balavoine, Éparse (JC Lattès, 2018).
En journaliste qui vérifie ses sources, il ne manque pas de tordre le cou à certaines rumeurs tenaces. Le fait que le mot "Hortillonnages" vienne du latin hortellus (petit jardin) ou hortus (jardin) ne signifie pas, comme beaucoup l’affirment, que l’origine de ces jardins remonte à l’époque romaine. "La date d’apparition des hortillonnages - et il faut saluer le travail de Bruno Bréart [conservateur émérite du patrimoine] à cet égard, est plutôt médiévale. Recopier une erreur, s’indigne Jean-Louis Crimon, ça n’est pas construire une vérité, c’est propager une légende. Les hortillonnages au temps des Romains, c’est une fake news avant l’heure !"
Dans L’Hortillon des mots, le florilège d’écrits mentionnés par l’écrivain journaliste - de manière enthousiaste ou parfois critique - illustre la richesse des histoires, des souvenirs, des poèmes, des tableaux que les hortillonnages ont inspirés aux femmes et aux hommes de lettres. Il est intéressant de voir de quelles manières ces champs utilisés pour la culture maraîchère ont aussi investi le champ littéraire. Deux ans après Je me souviens d’Amiens (Le Castor Astral), Jean-Louis Crimon témoigne une nouvelle fois de son attachement à sa ville et à la Picardie.