Le 33e Salon du Livre et de la BD de Creil organisé par l’association La Ville aux Livres s’est déroulé du 22 au 24 novembre 2019 à la Faïencerie. Près de 80 auteurs étaient présents en dédicaces. Comme chaque année, de nombreux débats et animations ont émaillé le week-end, temps fort de la vie littéraire en région. La manifestation a été choisie pour le lancement de l’opération "Il n’y a pas de territoires perdus pour la lecture", en partenariat avec l’association SILENCE, ON LIT !.
Samedi 24 novembre, Danièle Sallenave, écrivain, membre de l’Académie française et Olivier Delahaye, cinéaste et écrivain, respectivement présidente et vice-président de l’association, étaient donc présents sur le salon. Née en 2016, SILENCE, ON LIT ! ambitionne de "remettre le livre et la lecture au cœur des habitudes des jeunes comme des adultes" en développant un concept original, directement inspiré d’une expérience menée depuis 2001 au Lycée Tevfik Fikret d’Ankara en Turquie, à l’initiative d’Ayşe Başçavuşoğlu. C’est à la suite d’une visite où il a découvert là-bas, médusé, l’ensemble des élèves et personnels de l’établissement en pleine lecture, qu’Olivier Delahaye a souhaité importer la pratique en France.
Le concept SOL ! consiste à instaurer un temps de lecture quotidien de 10 à 20 minutes, obligatoire, dans un établissement scolaire, une entreprise, une collectivité, une administration… Un quart d’heure, chaque jour au même moment, au cours duquel, lorsque la sonnerie a retenti, tout le monde doit suspendre ses activités, faire silence et se plonger dans le livre de son choix : texte littéraire (fiction ou essai), bande dessinée, roman graphique... Dans la langue de son choix également. On ne peut en revanche lire ni journaux, ni revues, ni manuels scolaires. La lecture d’un e-livre sur tablette, à l’exclusion de tout autre contenu, peut être envisagée. Il faut veiller à ce que l’établissement puisse proposer des livres à ceux qui n’auraient pas les moyens d’en apporter.
Les bienfaits de ce rituel qui a déjà conquis des centaines d’écoles, sont nombreux : découvrir (ou retrouver) le plaisir et l’habitude de lire, sans enjeu particulier. Développer son langage et son vocabulaire, ses connaissances, sa culture générale. Partager collectivement un temps silencieux qui favorise l’apaisement, le vivre-ensemble et l’échange autour du livre, notamment. Pour que la mise en œuvre de cette pratique puisse se passer dans les meilleures conditions, que l’expérience soit efficace et pérenne, l’association SILENCE, ON LIT ! accompagne les structures qui souhaitent la mettre en œuvre. Il suffit de prendre contact avec l’équipe (ICI) pour organiser le suivi.
A Creil, Sylviane Léonetti, directrice des médiathèques et de La Ville aux livres, a d’abord expérimenté SILENCE, ON LIT ! auprès des publics lors de la Nuit de la lecture. Puis elle a contacté Olivier Delahaye pour aller plus loin. C’est ainsi que la ville a été choisie pour le lancement du projet "Il n’y a pas de territoires perdus pour la lecture" qui vise à inciter à lire les jeunes des établissements REP (Réseau d’éducation prioritaire) en partenariat avec les collectivités. Le slogan choisi répond à l’ouvrage collectif publié en 2002 sous la direction d’Emmanuel Brenner : Les territoires perdus de la République (Mille et Une Nuits). Danièle Sallenave avoue avoir été profondément choquée par le titre de ce livre, de même que par les propos d’un ancien ministre de l’Éducation nationale (Luc Ferry), évoquant les "15 % de quartiers pourris" qui plombent les résultats de la France en matière de scolarité.
L’académicienne désire "que Creil soit la ville d’où parte un mouvement en faveur de la lecture et de tout ce que l’instruction et la lecture peuvent fournir en matière d’intégration de tous. Ceux qui viennent d’ailleurs mais aussi ceux qui appartiennent aux couches les plus défavorisées de la société et qui ont besoin de cette intégration." Sylviane Léonetti qui a pour devise la phrase de Voltaire : "Plus les hommes seront éclairés, plus ils seront libres", et pour livre de chevet Le don des morts (Gallimard, 1991) de Danièle Sallenave, est absolument déterminée. "Il y a des territoires non pas perdus, mais oubliés de la République. Et ces territoires : nous les gagneront !" s’est-elle exclamée avant que chacun à la Faïencerie ne soit invité à prendre un livre, à faire silence, et à lire durant dix minutes.
"Ne pas avoir l'expérience de la littérature n'empêche ni de connaître, ni de savoir, ni même d'être « cultivé » : il manque seulement à la vie vécue d'être une vie examinée. Car les Lettres, c'est notre langage métamorphosé ; ce sont nos mots : et voici que, dans le colloque singulier du livre et de son lecteur, s'ouvrent l'expérience élargie, et la pensée, et le rêve, et la possibilité d'être soi-même, véritablement, dans la communauté partagée. La pratique des livres n'est donc pas, dans notre vie, la part du rêve, un luxe gratuit, un loisir supérieur ou une marque de distinction. Et les intellectuels se trompent gravement lorsqu'ils s'emploient à en dénoncer l'élitisme au lieu de faire que s'ouvre au plus grand nombre le règne émancipateur de la pensée dans les livres." Danièle Sallenave - Le don des morts (Gallimard, 1991)