210 pages
Éditions L'herbe qui tremble
Couverture et dessins de Denis Pouppeville
Format : 14 x 21 cm
EAN : 9782918220923
Janvier 2020 - Prix 17 €
Note de l'éditeur : "Ce roman dédié aux « seconds couteaux de la littérature » évoque la figure d’Alfred Moore, cocher de son état mais aussi auteur de quelques vers. Ayant eu l’honneur d’embarquer dans son cab le grand Victor Hugo, il rêva d’être soutenu par le maître dans l’espoir de voir édités ses poèmes. Ce « cocher poète », comme le surnommèrent les journaux de l’époque, a bel et bien existé. Jean-Louis Rambour en a imaginé la vie."
"Tout n’est qu’affaire de rencontres. La barricade de la rue Sedaine en offre une tout à fait exceptionnelle à Alfred Moore". Ainsi commence le cinquième roman de Jean-Louis Rambour, Le cocher poète (Ed. L’herbe qui tremble). Le 22 mai 1871, la "semaine sanglante" ne fait que commencer à Paris, et les communards se préparent au face à face avec les Versaillais, militaires restés fidèles au gouvernement. En regagnant son réduit mansardé, rue du Chemin-Vert, Alfred Moore se retrouve bien malgré lui sur le théâtre des opérations. Parmi les insurgés, "aussi hardi qu’un dompteur face à ses lions", un homme en chemise rouge se présente comme un disciple du général italien Giuseppe Garibaldi. Il s’agit d’Édouard Lockroy (1838-1913), qui pour l’heure est journaliste au Diable à quatre. Au cours de leur échange, Lockroy apprend à Moore que Victor Hugo vient de perdre son fils, Charles. Celui-ci est anéanti par la nouvelle. "Comme est curieuse, cette soudaine émotion… ".
La réaction d’Alfred Moore n’est pas si curieuse, à la lumière de ce qui va suivre. L’homme qui "se vante d’avoir appris par cœur 1500 vers de La Légende des siècles", voue une admiration sans bornes à l’illustre écrivain. "Il n’y a pas plus grand que Victor Hugo, il n’y a jamais eu, il n’y aura jamais." Alfred Moore est cocher. Du moins l’était-il six mois plus tôt, avant d’être licencié par la Compagnie Générale des Omnibus. Sa femme Irène, "la cochère, disait-on dans le quartier, comme on aurait bien pu dire la cochonne, car on se moquait d’elle, de sa pauvreté, et surtout de s’être acoquinée avec un Alfred Moore peu recommandable", l’a quitté dans la foulée en emmenant leur fille, Suzanne. Il faut dire que le cocher (il va bientôt le redevenir, employé par une autre compagnie), boit beaucoup d’absinthe. Beaucoup trop. "Elle est tragique cette solitude du buveur d’alcool". Pourtant, contre toute attente, son existence misérable n’a pas encore réduit le quadragénaire au désespoir. "Car Alfred Moore ne vit pas vraiment : il écrit, vit la vie dans l’écriture, dans la poésie évidemment. Et Dieu, chez lui, s’appelle Hugo. Victor."
L’affaire est entendue : "Le cocher poète est avant tout poète." En alexandrins. Jean-Louis Rambour exhume d’ailleurs ses sonnets, pour la plupart dédiés aux membres de la famille Hugo. Il l’affirme en tout cas, mais les poèmes qui ponctuent le récit sont-ils vraiment de Moore ? "Prisonnier de la forme et rêveur d’infini, / Je me sens à l’écart et marginal honni / Qui ressasse en son œuvre une folie égale." Dès le début, l’auteur n’en fait pas mystère, nous savons que le cocher poète finira mal. Mais son histoire (supposée) jusqu’à la chute finale, au sens propre du mot, captive. Jamais Alfred ne cessera de se croire, de se sentir poète, appartenant à "la race des intouchables, des êtres incontestablement supérieurs". Son opiniâtreté finit par payer puisque Victor Hugo, en personne, devient l’un des passagers réguliers de son cab. La chance d’être lu, et reconnu, frappe enfin à sa porte : "un cocher confiant ses vers à celui qui a maîtrisé, malmené, révolutionné l’alexandrin !"
Jean-Louis Rambour a découvert l’existence de ce Moore, dont il a inventé le prénom, en cherchant des informations sur les anarchistes de la fin du 19e siècle. Le cocher poète était mentionné dans les journaux pour avoir tiré en 1893 deux balles de revolver sur Édouard Lockroy, notre garibaldien devenu ministre. Il faut préciser qu’en 1877, ce dernier a épousé Alice Lehaene, veuve de Charles Hugo, le fils de l'écrivain, devenant ainsi le beau-père de Georges et Jeanne évoqués dans L’Art d’être grand-père. Tout vient de là. Ses blessures sont légères mais Moore est condamné à six ans de prison au bagne de Cayenne. Il y meurt quelques jours avant qu’un autre Alfred (Dreyfus) y débarque. La réalité fournissant à Jean-Louis Rambour les ingrédients d’un bon roman, il lui restait à mettre en œuvre ses grandes qualités de conteur pour nous entraîner dans l’aventure, entre récit historique et fiction savamment emmêlés.
Poète lui-même, né en Picardie et installé depuis quelques années dans le Calvados, Jean-Louis Rambour dédie son livre "à la mémoire des seconds couteaux de la littérature". À travers son héros, cocher de misère, ce sont tous les auteurs de l’ombre que salue l’écrivain. Les petits, les sans-grades, les forcenés de l’écriture dont personne n’a retenu le nom. Il y a chez Alfred autant de ridicule que de panache, à vouloir à tout prix faire carrière de poète. Son obsession amuse et étonne, elle force même un certain respect. Sous la plume lucide de Jean-Louis Rambour, Moore est à la fois pathétique et touchant. Les illustrations de Denis Pouppeville s’accordent d’ailleurs parfaitement à l’atmosphère du texte. Le destin du cocher poète est cruel, certes, mais ce n’est pas le tragique qui domine le roman. L’écrivain Roger Wallet prévient en quatrième de couverture : "Ce Rambour-ci est le facétieux, le pince-sans-rire" qui "mène son récit avec une fausse désinvolture." Il jubile sans doute, de ce qu’il nous raconte, mais c’est la tendresse que l’on sent poindre aussi, et peut-être même, un sentiment de fraternité vis-à-vis de tous les Alfred Moore qui placent la poésie très au-dessus de tout.