Installée jusqu’au 3 janvier 2021 au Musée national Picasso-Paris, l’exposition Picasso et la bande dessinée propose, sous le commissariat de Vincent Bernière et Johan Popelard, d’explorer pour la première fois les liens entre l’œuvre du maître espagnol et le neuvième art. Pablo Picasso (1881-1973) était-il lecteur de bande dessinée ? S’est-il essayé au médium ? A-t-il laissé une empreinte dans cet univers a priori éloigné du sien ?
Les dessins, estampes, planches originales, tableaux présentés ici, donnent à voir de manière très claire l’admiration réciproque que Picasso et la bande dessinée ont entretenu l’un pour l’autre. "La seule chose que je regrette dans ma vie, c’est de ne pas avoir fait de bande dessinée." Ces propos du peintre rapportés par le critique d’art britannique Paul Gravett, dans son ouvrage Comics Art (Tate Publishing, 2013), laissent peu de place au doute.
Au rez-de-chaussée de l’Hôtel Salé, l’exposition présente des dessins de jeunesse de l’artiste qui invente lui-même, dès l’enfance, des histoires mêlant texte et images. En 1903, il consacre une planche en sept cases à un récit sur son ami, le poète Max Jacob. Il a alors 22 ans. En tant que lecteur, c’est à l’écrivaine et collectionneuse américaine Gertrude Stein (1874-1946) qu’il doit son initiation au médium. Il la rencontre à Paris en 1905. Elle lui fait connaître ces comic strips à grand succès que les journaux américains publient à l’époque : The Katzenjammer Kids (Pim Pam Poum) de Rudolph Dirks qui plaît particulièrement à Picasso, le génial Little Nemo in Slumberland de Winsor McCay ou Krazy Kat de George Herriman. Les planches exposées dans la salle dédiée valent le détour !
Le goût que Picasso développe alors ne se démentira pas. Dans sa bibliothèque d’adulte figurent des exemplaires de Spirou, L’Épatant qui publie Les Pieds nickelés, The New-Yorker, Le Monde illustré ou l’hebdomadaire espagnol Pulgarcito. Il possède même une édition de Voyages et aventures du docteur Festus de l’auteur suisse Rodolphe Töpffer (1799-1846), considéré comme l’inventeur de la bande dessinée.
En 1937, peu avant Guernica, l’œuvre phare de son engagement contre le franquisme ("j’exprime clairement mon horreur de la caste militaire qui a fait sombrer l’Espagne dans un océan de douleur et de mort"), Picasso choisit la narration séquentielle pour créer Songe et mensonge de Franco. Une gravure de dix-huit cases réparties sur deux planches, tirée à 1000 exemplaires pour être vendue comme carte postale en soutien financier aux républicains. Le dictateur y est représenté de façon à la fois monstrueuse et bouffonne. Le message politique s’exprime ici en bande dessinée.
L’autre versant de l’exposition sonde l’influence exercée par Picasso sur le neuvième art. L’œuvre et la personnalité de l’artiste – devenu un véritable mythe planétaire - ont inspiré de nombreux auteurs de bande dessinée aux univers très différents. Guernica apparaît ainsi dans Le Piège diabolique, une aventure de Blake et Mortimer (Ed. Dargaud, 1962) par Edgar P. Jacobs. En 1974, c’est le peintre lui-même que l’on reconnaît dans Ace Hole, Midget Detective d’Art Spiegelman, une parodie de roman noir. Milo Manara lui rend hommage dans Période bleue (1980). On le retrouve aussi chez Marcel Henry, Gotlib, François Boucq, Philippe Geluck… Dans leur formidable série Pablo (Ed. Dargaud, 2012-2014), Julie Birmant (scénario) et Clément Oubrerie (dessin) retracent la jeunesse de Picasso à Montmartre à travers la voix de sa maîtresse, Fernande. Plus récemment, Daniel Torres a mis le peintre en scène dans le noir et blanc Picasso s’en va-t-en guerre (Ed. Delcourt, 2019).
Au sous-sol du musée, un ensemble d’œuvres monumentales et le plus souvent inédites sont présentées aux visiteurs. De grandes fresques signées Sergio García Sánchez, Émilie Gleason, François Olislaeger (ci-dessous en cours d’élaboration), Clément Oubrerie et Marina Savani (en coproduction avec la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême). Les artistes, chacun dans son style et selon sa technique, rivalisent de créativité pour intégrer la figure du maître à leur propre univers. Une nouvelle preuve que la création contemporaine reste sensible au mythe Picasso. C’est sans doute un juste retour des choses pour le peintre qui, loin de considérer la bande dessinée comme un art mineur (à l’époque, ils n’étaient pas si nombreux), s’est au contraire passionné pour le medium en tant que lecteur ET en tant qu’artiste.
À NOTER : Le musée national Picasso-Paris présente également jusqu’au 3 janvier 2021 une remarquable exposition consacrée au travail poétique de l’artiste. Des dizaines de manuscrits - il a rédigé plus de 340 poèmes entre 1935 et 1959 - y témoignent de l’importance de la poésie dans son processus créatif.