Un bouquiniste à l'affiche : Le Colporteur de Guillaume LehingueUn bouquiniste à l'affiche : Le Colporteur de Guillaume Lehingue

Le Ciné St Leu d’Amiens proposait jeudi 13 janvier 2022, une séance-rencontre autour du premier film de Guillaume Lehingue, Le Colporteur, un documentaire de 52 minutes consacré à Hervé Jézéquel, le bouquiniste de la Librairie Aléatoire, 62 Rue St Leu à Amiens* (voir ICI mon reportage de 2011). Le réalisateur était en compagnie des productrices Eugénie M-v et Mathilde Raczymow (Les Films du Bilboquet).

C’est d’abord en tant que lecteur que Guillaume Lehingue fait la connaissance d’Hervé Jézéquel et se lie d’amitié avec lui. Lorsqu’il a pour consigne de "filmer quelqu’un au travail" dans le cadre de son Master Cinéma à l’UFR des Arts de l’Université de Picardie Jules-Verne, il choisit le bouquiniste. Eugénie M-v, qui intervient à la Faculté, pense qu’il y a matière à faire un film : "il y avait un personnage, et Guillaume a le sens du cadre", se souvient-elle. France 3 accepte rapidement d’accompagner le projet. Le film reçoit aussi le soutien de Pictanovo, du CNC (Centre national du cinéma et de l'image) et de la Procirep (Société civile des Producteurs de Cinéma et de Télévision).

Un bouquiniste à l'affiche : Le Colporteur de Guillaume LehingueUn bouquiniste à l'affiche : Le Colporteur de Guillaume Lehingue

Pendant un an et demi, de fin 2019 à début 2021, Guillaume Lehingue filme Hervé Jézéquel dans ses activités, faisant confiance au hasard et à la relation qui se tisse au fur et à mesure du tournage. Il arrive aussi que le bouquiniste fasse des propositions, et s'implique dans le choix de certains extraits.

Le Colporteur commence par une "plongée" dans les livres, au sens propre du mot. Hervé Jézéquel, éclairé par la maigre lumière de sa lampe frontale, tente de mettre la main sur l’ouvrage qu’on lui a commandé sur Amazon au milieu "des piles et des piles de bacs sur des sujets aléatoires (mais choisis attention !)". "Extraire le petit bouquin" s’apparente à une séance de spéléologie dont le temps presse ; lorsqu’il a reçu la notification de la vente, il dispose de 48 heures pour l’expédier.
 

Un bouquiniste à l'affiche : Le Colporteur de Guillaume LehingueUn bouquiniste à l'affiche : Le Colporteur de Guillaume Lehingue

"Chacune de ces ventes, à coup de 20 %, ça laisse des sous à Amazon qui, à part mettre en contact sa base clients avec les vendeurs tiers, n’a pas grand-chose à faire, constate le bouquiniste.  En dix ans, je leur ai versé pas loin de 80 000 € de commissions sur les ventes pendant qu’eux, ils n’ont pas dépensé un centime pour moi." Au fil des années, le géant de la vente en ligne a organisé la dépendance d’une multitude de vendeurs tiers (trois millions à travers le monde en 2019) qui font la richesse et l’intérêt de la plateforme. Le jeu en vaut-il la chandelle ?

Début 2020, Hervé décide de fermer son compte, de se recentrer sur sa boutique et - pourquoi pas ? – de faire le colporteur de livres. Le moment n’est pas bien choisi. Avec la pandémie et le confinement, tout le monde ou presque, trouve bientôt refuge derrière son écran. "On peut aussi vivre la correspondance, et s’inscrire dans un fonctionnement commercial mondialisé sans Amazon, sans intermédiaire", observe Hervé qui, entre stratégie et "pure intuition", est prêt à assumer son choix.

Un bouquiniste à l'affiche : Le Colporteur de Guillaume LehingueUn bouquiniste à l'affiche : Le Colporteur de Guillaume Lehingue

Le film de Guillaume Lehingue est découpé en chapitres, mois par mois, auxquels il a donné des titres de livres. Du Capital de Karl Marx en janvier à La Métamorphose de Kafka en août, en passant par La Peste de Camus en avril, ou Le Temps retrouvé de Poust en juillet, on accompagne donc le bouquiniste qui est à la fois le "héros" et la voix-off du documentaire. Le réalisateur traite son sujet avec délicatesse et bienveillance. Il parvient à rendre palpables des facettes du métier difficiles à traduire à l’écran : le goût du bouquiniste pour le papier et l’objet-livre, sa curiosité de dénicheur, ces moments où il débarrasse des livres dans lesquels l’âme du lecteur défunt semble encore flotter…

Le documentaire, qui interroge nos pratiques de consommation, doit aussi beaucoup à la personnalité attachante d’Hervé Jézéquel, à son sens de l’humour et à sa lucidité qui n’exclut par une certaine vision poétique du monde. Les choix et compromis qu’il accepte de faire, pour conjuguer son amour des livres et sa liberté, forcent le respect.

Diffusé jeudi 6 janvier à 22h35 sur France 3, Le Colporteur est disponible gratuitement en replay jusqu’au 6 février 2022 ICI.

* La Librairie Aléatoire est aussi sur le Marché aux Livres anciens ou d’occasion devant la gare d’Amiens chaque premier samedi du mois.

Tag(s) : #Coups de coeur et curiosités

Partager cet article

Repost0