Mardi 15 mars 2022 à la bibliothèque Louis Aragon d’Amiens, le poète Jacques Darras présentait son recueil Quatre à quatre vers le Nord (Cours toujours, Aisne) lors d’une rencontre-lecture animée par Sébastien Kwiek et Pauline Atrax-Perrot dans le cadre du festival Rayon Vers, qui se déroule dans la métropole amiénoise jusqu’au 31 mars 2022.
Dans ce joli petit recueil (11 X 14 cm) que l’on glisserait volontiers dans sa poche, Jacques Darras a choisi de relancer le Congé, une forme littéraire originale inventée entre 1202 et 1277 par trois poètes arrageois qui lui sont chers : Jean Bodel, Baude Fastoul et Adam de la Halle (voir ICI mon article sur l’anthologie Du cloître à la place publique). "La forme du Congé est le douzain octosyllabique. L’esprit satirique côtoie l’éloge et la gratitude, les poètes s’adressant nommément à leurs concitoyens, avec lesquels ils règlent leurs comptes ou qu’ils remercient", indique Jacques Darras dans une note en fin de livre. Les Congés de Baude Fastoul, frappé par la lèpre, sont un adieu avant l’exil auquel il est forcé. C’est une autre épidémie, celle du Covid, qui a incité notre poète à rédiger les siens, sous une forme un peu différente.
"Très spontanément, j’ai écrit des quatrains non rimés. Mon alexandrin est boiteux, je n’en ai pas peur, confesse-t-il à Amiens. Pour moi, la poésie, si elle n’est pas libre, ce n’est pas de la poésie !" Le recueil compte près de 80 poèmes courts dans lesquels l’auteur réaffirme son attachement au Nord (entendez la Picardie, le Nord Pas-de-Calais, la Belgique… et évitez l’appellation Hauts-de-France qu’il récuse fermement !).
Le recueil a sa géographie est c’est en direction du Nord, logiquement, qu’il établit sa trajectoire : de Roissy en page 7 à l’Écosse en page 63. En passant par Bruxelles, Liège, Boulogne-sur-mer, Arras et d’autres. En passant par Lille, aussi : "La Deûle à Lille, la Deûle, je l’ai tant adulée / Du temps où nous vivions Petite rue Saint-Étienne, / Puis les jours ont passé et la Deûle a coulé, / Regarde je viens seul y réfléchir ma peine."
Quatre à quatre vers le Nord est tout, sauf une promenade désincarnée. Jacques Darras y convoque des vivants et des morts : son père Paul "Polaire", Jean Callens figure emblématique du Furet du Nord, le complice comédien Jacques Bonnaffé qui signe la préface du livre, les poètes Georges Guillain, Marc Rombaut, Jacques Izoard, François Jacqmin, Émile Verhaeren…, des peintres, des amis, et beaucoup de souvenirs. Sans pour autant céder à la mélancolie !
"La poésie est précisément ce qui, dans la littérature, échappe à la gravité", déclare-t-il au cours de la soirée. Le mouvement-Darras est donc perpétuel, et toujours vers le haut. Férocement attaché à sa liberté, il va droit au but sans craindre de froisser : "Bertrand Xavier, mon Congé je vous donne. D’avoir / De France d’en Haut fait Haut de France aucun d’ici / Ne vous pardonne, qui sont gens d’en bas. Craignez que / Plus bas tombiez qu’à Fonsomme, au cul de la Somme." Décès de la Picardie sous X.