Jean-Christophe Chauzy faisait partie des auteurs exposés à la Halle Freyssinet lors des 26es Rendez-vous de la bande dessinée d’Amiens au mois de juin 2022. Sa série, Le reste du monde (4 tomes parus aux éditions Casterman entre 2015 et 2019) était à l’honneur dans une formidable exposition créée par le Pôle BD Hauts-de-France, et scénographiée en collaboration avec l’auteur. Une occasion, grâce à des planches originales et tirages grand format, de se plonger dans l’univers post-apocalyptique de la série dont Marie et ses fils, Hugo et Jules, sont les héros.
L’histoire commence à la fin du mois d’août, dans les Pyrénées où ils ont passé un mois de vacances. Marie ne décolère pas contre son mari qui vient de la quitter pour une femme plus jeune. Le retour à Paris se profile, Marie est enseignante au collège, les garçons vont faire leur rentrée en CE2 et CM2. Mais la veille du départ, un orage spectaculaire s’abat sur la montagne. "C’était vraiment grave… Pas un gros orage. Pas une simple vibration. Pas un sale cauchemar." C’est le début de la fin. Aussi loin que Marie puisse se rendre, les éléments se sont déchaînés, le monde n’est qu’un vaste champ de ruines au cœur duquel il va falloir survivre…
Dimanche 5 juin 2022, c’est au sein même de son exposition que Jean-Christophe Chauzy décrivait au public la naissance de la série et la manière dont il travaille. Issu du roman noir (il a travaillé avec Thierry Jonquet, Marc Villard, Pierre Pelot, auteurs de polars, sur des adaptations en bande dessinée), il a d’abord envisagé d’adapter La Route de Cormac McCarthy, un livre qui l’avait bouleversé, mais l’exercice était trop difficile. C’est au cours de ses vacances en été, dans les Pyrénées, que l’idée de la série est née. "J’avais mon Far West ! Les petites fourmis humaines secouées par le paysage qui va tout changer… Ce qui m’intéresse, assure-t-il, ce sont précisément les gens ordinaires. Une mère de famille que j’ai essayé de désérotiser, sans compétences particulières comme moi, qui va essayer de trouver des ressources, dans une transformation de la vie à la survie."
Jean-Christophe Chauzy évoque les travaux de Pablo Servigne, ingénieur agronome et docteur en sciences, sur la collapsologie : "il émet l’hypothèse que pour affronter les crises, ce qui va nous sauver, c’est la solidarité. Je fais le postulat que la solidarité, c’est ce qui arrive tant qu’il y a des choses à partager." Dans Le reste du monde, en l’occurrence, on manque très vite de tout ce qui est nécessaire. De petites communautés s’organisent pour faire face au chaos, mais le chacun pour soi domine, le plus souvent. Il faut piller pour trouver de quoi se nourrir, échapper aux milices qui font régner la terreur… "C’est plus intéressant de descendre profond pour imaginer ce qui va arriver, explique Chauzy. Je place mon espoir dans la jeunesse".
L’auteur est reconnaissant envers son éditeur, Benoît Mouchart chez Casterman, qui lui a donné carte blanche pour donner vie à son histoire. "Le contenu doit être servi par des formes adéquates : structures de pages, formes de cases, il faut trouver des analogies formelles entre ce qui se passe au niveau du paysage, générateur de récit, et le paysage de ma page." Dans Le reste du monde, il arrive ainsi que le décor naturel s’étende sur toute la double page, grandiose, voire écrasant, pour le lecteur comme pour les personnages.
Professeur d’arts plastiques, Jean-Christophe Chauzy admet aussi être autodidacte dans son travail. "On bâtit des manières de réfléchir sans avoir vraiment appris, indique-t-il. Je conçois des bouquins comme je les lisais lorsque j’avais quinze ans : en prenant le temps. Toutes les étapes sont importantes." Pour la mise en couleur, pas de recours à l’informatique. "Je suis incompétent sur Photoshop ! Je prends plaisir à être un dinosaure. Si je me plante, il faut que je recommence. Mais je vais avoir un plaisir dans la réalisation des pages, que les dessinateurs sur tablette n’auront pas." Comme la composition de la page, la couleur à l’aquarelle doit être un outil expressif. "Tout mon travail consiste à essayer de la rendre utile en termes de sensations, d’émotions, et de suivi du récit. Il faut réfléchir avant de déposer le moindre coup de pinceau. C’est un peu risqué mais c’est aussi beaucoup de surprise et d’excitation, à la fin, de découvrir tout ce que je n’ai pas maîtrisé !"
Le résultat est saisissant. Le travail sur les paysages "déconstruits" par la catastrophe est impressionnant. La série de Jean-Christophe Chauzy compte (à ce jour) quatre albums de 112 à 130 pages, d’une grande intensité. Difficile d’en interrompre la lecture une fois qu’on est lancé ! Le lecteur n’est pas ménagé, certaines scènes sont d’une grande violence et cependant, on imagine leur vraisemblance si le monde se retrouvait plongé dans de tels abîmes. Comment s’adapter face à une crise d’une ampleur inédite ? Comment y survivre sans renoncer à son humanité ? Marie pourra-t-elle protéger ses enfants, et échapper au pire ?