Inaugurée le 30 octobre 2023 par Emmanuel Macron qui a impulsé sa création, la Cité internationale de la langue française a ouvert ses portes dans l’Aisne au château de Villers-Cotterêts, la ville natale d’Alexandre Dumas. Il a fallu quatre années de travaux sous l’égide du Centre des monuments nationaux, et un budget de 211 millions d’euros, pour que le site retrouve son éclat.
Construit dès 1532 pour servir à François Ier de résidence de chasse, Villers-Cotterêts est le seul château royal de la Renaissance conservé en Picardie. Il est surtout le lieu de signature de l’Ordonnance du 25 août 1539 sur le fait de la Justice, dont les articles 110 et 111 imposent le français - à la place du latin - dans tous les actes à portée juridique de l'administration et de la justice du royaume. Après avoir été caserne, dépôt de mendicité, maison de retraite, le château était à l’abandon depuis 2014. Grâce à une impressionnante restauration, le voici devenu, selon le président de la République, « lieu d’accueil, de vie, de formation, de recherche et de dialogue ».
L’ancienne cour du Jeu de Paume est désormais couverte par une verrière ; et ce sont les Cotteréziens qui ont choisi les mots du nouveau « ciel lexical ». « Bienvenue », « lecture » et « liberté » y côtoient « babillage », « chelou », « divulgâcher » ou « saperlipopette ». Réalisé sous le commissariat scientifique principal de Xavier North, le parcours permanent de la Cité (traduit en anglais et allemand) est entièrement dédié à la langue française. Après une introduction sur le château et son territoire, il déploie ses trois séquences • Le français, une langue-monde • Le français, une invention continue • Le français, une affaire d’État, à travers quinze salles au premier étage du Logis royal. On y accède en empruntant l’escalier du roi, magnifique vestige du XVIe siècle.
Le français, qui devient une langue à part entière à la Renaissance, est présenté à la fois comme la langue des Lumières, une langue de domination lors des conquêtes coloniales, et une langue d’émancipation ou de rayonnement culturel. Il est parlé par 320 millions de personnes à travers le monde, comme langue maternelle ou langue d’adoption, majoritairement en Afrique. Le mot francophonie est une invention en 1880, du géographe Onésime Reclus, chantre de l’expansion coloniale. L’organisation internationale de la Francophonie regroupe aujourd’hui près de la moitié des pays représentés aux Nations-Unies.
Confiée à l’atelier parisien Projectiles, la scénographie de la Cité est résolument tournée vers le numérique. Mieux vaut ne pas être allergique aux écrans : ils sont partout. Le parti pris est à la fois pédagogique et ludique : 62 dispositifs de médiation jalonnent les 1200 m² du parcours. Quelques-uns étaient en panne au moment de notre visite, et la question de la circulation des publics par forte affluence (200 000 visiteurs sont espérés chaque année) peut se poser. Souvent interactifs, ces dispositifs innovants s’adressent à un public familial, invité à jouer avec les mots et la langue. Grille géante de mots-mêlés, leçon d’orthographe, accents ou expressions dont il faut retrouver la provenance… révèlent la richesse et la complexité du français.
Dans cet environnement multimédia, les amoureux du papier se consoleront (peut-être) avec « la bibliothèque magique ». Plusieurs milliers d’ouvrages en français de tous les continents tapissent ses faces extérieures, et peuvent être librement consultés. À l’intérieur, un procédé d’intelligence artificielle permet au visiteur, guidé par la voix et les questions d’une bibliothécaire virtuelle, de repartir avec un conseil de lecture personnalisé.
Du papier, il y en a aussi dans la dernière salle du parcours où l’on découvre notamment un exemplaire de l’Ordonnance de 1539, imprimé à Paris par Galliot du Pré et Jehan André. Il retournera aux Archives nationales en février 2024. La visite se termine dans la chapelle royale dont le splendide décor sculpté témoigne de l’influence italienne. Avant de descendre par l’escalier de la reine, on peut consulter virtuellement quelques ouvrages de la bibliothèque de François Ier.
Le projet de la Cité internationale de la langue française dirigée par Paul Rondin, ancien directeur délégué du Festival d’Avignon, ne se limite pas à un parcours muséographique. Des spectacles et concerts seront programmés toute l’année dans son auditorium. Des résidences d’artistes, des formations, des ateliers sont prévus. De multiples partenariats se nouent autour de la Cité. L’Université de Picardie Jules Verne et l’association amiénoise On a marché sur la bulle vont y mettre en œuvre des actions autour de la bande dessinée. Un appel à projet a été lancé pour qu’une offre d’hôtellerie et de restauration se développe dans les bâtiments autour de la cour des Offices. En attendant, le café « Chez Alexandre » et la librairie-boutique L’arbre à palabres, sont accessibles à tous aux horaires d’ouverture du château.