Samedi 23 février 2019, Anne-Laure Bondoux était invitée à la librairie Martelle d’Amiens pour une rencontre animée par Alice, libraire de l’espace jeunesse Passeur de rêves. L’occasion pour la romancière de revenir sur sa vocation précoce, son parcours, sa bibliographie. Originaire de Bois-Colombes, Anne-Laure a grandi au milieu des livres qui tapissaient les murs du logement familial. À quinze ans, elle voulait déjà être auteur (ou basketteuse professionnelle !) sans que ses parents y trouvent à redire. Après de nombreux refus d’éditeurs, c’est dans le magazine J’aime Lire qu’elle a publié en 2000 sa première histoire, Noémie superstar !, rééditée chez Syros en 2017.
Son dernier roman, Valentine ou la belle saison (Fleuve Ed.), est plutôt destiné aux adultes, mais Anne-Laure Bondoux a beaucoup écrit pour les plus jeunes. Certains de ses livres - qu’elle se réjouit de voir circuler dans les familles - sont même devenus des classiques de la littérature jeunesse. Elle bénéficie aujourd’hui d’une belle reconnaissance, tant publique que critique. Les larmes de l’assassin (Bayard jeunesse) et L’aube sera grandiose (Gallimard jeunesse) ont ainsi remporté respectivement le Prix Sorcières en 2004 et le Prix Vendredi en 2017.
Lorsque s’ouvre Valentine ou la belle saison, l’héroïne éponyme a décidé de quitter Paris pour passer quelques jours auprès de sa mère, Monette, en Pays de Brive, à Lestrade en Corrèze. À 48 ans et demi, elle est divorcée et mère de deux grands enfants. Après un an de chômage, elle a décroché sa première mission en tant qu'indépendante : la rédaction d’un guide sur la puberté pour les adolescentes ! Elle l’ignore encore mais son frère Fred, 50 ans, qui vit avec sa famille à Angoulême, a prévu de la rejoindre là-bas : "je n’ai plus le choix : je dois prendre mon courage à deux mains et parler (enfin) à Valentine."
À son arrivée, Valentine retrouve Monette, et renoue avec la campagne et ses vieux souvenirs. "Enfant, combien de fois avait-elle arpenté ces hectares de taillis touffus, en toute liberté, des journées entières, sans que personne s’en inquiète ?". En faisant le ménage, elle découvre par hasard que sur plusieurs photos de classe de son enfance, quelqu’un a noirci une silhouette au marqueur noir. L’élève masqué(e) par ce gribouillage est désormais méconnaissable. Qu’est-ce que cela signifie ? Intriguée, Valentine se met à fouiller le passé. En compagnie de Fred qui débarque à Lestrade, avec des soucis plein la tête, elle tente de reconstituer le puzzle : "C’est pas tous les jours qu’on déterre des secrets de famille en forme de poupées russes."
Ce thème des secrets de famille, déjà exploré dans L’aube sera grandiose (Gallimard jeunesse), est d’autant plus cher à Anne-Laure Bondoux, qu’elle y a elle-même été confrontée. Lorsqu’elle a reçu les révélations de sa mère, à l’âge de 37 ans, elle s’est rendu compte que sa vie avait en fait été "téléguidée par le non-dit." "Nos histoires se tricotent à partir des histoires qui nous précèdent, affirme-t-elle. Je suis devenue écrivain pour raconter ce qui n’était pas dit."
Dans Valentine ou la belle saison, le frère et la sœur, dont la relation se révèle d’autant plus fondatrice que leurs parents ont vieilli ou disparu, éprouvent "un désir, une nécessité impérieuse de revenir à l’état d’enfance." Arrivés à la cinquantaine, ils s’interrogent sur ce qu’ils sont devenus et sur les choix qu’il faut opérer. Les repères de Valentine vacillent : "Tout se mélangeait dans son esprit, les époques, les gens, les sentiments. Il lui semblait que la vie n’était plus qu’une grande énigme dont elle n’avait pas les codes."
Pendant ce temps, la France entière semble plongée dans le même désarroi que Valentine. Anne-Laure Bondoux a choisi de situer son histoire entre le mois de mars 2017 et le jour du premier tour des élections présidentielles. L’ex-mari de Valentine, l’ambitieux Kostas, fait d’ailleurs partie de l’équipe d’Emmanuel Macron. Il ne s’agissait pas d’écrire un livre militant, mais en tant que citoyenne qui observe, elle souhaitait proposer "une sorte de photographie de l’état émotionnel du pays, dans un moment où les lignes de fractures habituelles se sont morcelées."
Dans son livre, le point de vue d’un narrateur externe alterne avec celui de Fred qui se confie dans un carnet. Cette construction n’était pas prévue initialement, mais elle s’est imposée à la romancière qui trouvait intéressant de faire entendre la voix d’un homme avec ses fragilités. Accueillir l’imprévu au moment de la création, voici précisément ce qui plaît à Anne-Laure Bondoux dans l’écriture. Et voici précisément, aussi, ce que Valentine va être amenée à faire pour vivre au mieux le reste de sa vie.