Dans le cadre des EPAM (Études Populaires d'Amiens Métropole), Daniel Compère donnait une conférence sur le thème "Les romans populaires : des Mystères de Paris à Fred Vargas, un phénomène culturel profond ?" au salon-bouquinerie Chapeau melon & Piles de livres à Amiens, vendredi 27 janvier 2012.
Après avoir rappelé que le roman populaire n'était pas un genre (ce qui rendrait sa définition plus aisée) mais plutôt " un domaine ou un champ littéraire" apparu au début du XIXème siècle, Daniel Compère en a tracé l'évolution.
L'avènement de ce phénomène a été rendu possible avec l'apparition d'un nouveau lectorat après la Révolution Française. Une petite et moyenne bourgeoisie (artisans, cadres administratifs, militaires...) d'abord, puis des ouvriers ou des ruraux qui se mettent à lire à leur tour pour leurs loisirs. Le roman populaire répond à la demande de ces lecteurs et fait oeuvre de fiction dans l'objectif de divertir un large public. La "littérature légitimée" rejette volontiers à la marge cette littérature populaire et pourtant : "qui sont les marginaux ?" s'interroge Daniel Compère
L'histoire du roman populaire est étroitement liée à celle du roman feuilleton. Celui-ci est inventé en 1836 par Emile de Girardin et Armand Dutacq, deux patrons de presse qui ont l'idée de créer un journal quotidien au coût réduit (notamment grâce à la publicité) et à l'impression rapide, pour des abonnés. Lorsque les deux hommes se fâchent, chacun développe son propre projet. Girardin lance La Presse et Dutacq, Le Siècle. Pour fidéliser leurs lecteurs, ils demandent à des écrivains d'y faire paraître leurs romans découpés en épisodes à l'endroit du feuilleton (bas de page traditionnellement réservé à des chroniques ou critiques). Alexandre Dumas commence chez Girardin tandis que Balzac écrit pour Le Siècle. La hausse du nombre d'abonnés est significative.
Entre juin 1842 et octobre 1843, Eugène Sue rencontre un immense succès avec Les Mystères de Paris, l'histoire du Prince Rodolphe qui se fait passer pour un ouvrier parisien. La construction de cet ouvrage est alors originale, avec des histoires connexes qui se greffent sur l'histoire principale : "une structure en arborescence". Ce livre est en outre intéressant car il suscite des réactions de lecteurs dont Eugène Sue va tenir compte pour faire évoluer son histoire et ses personnages. Le phénomène est tel qu'il va être suivi de nombreuses imitations et notamment de Les Mystères de Marseille par Emile Zola en 1867.
Commence l'âge d'or du roman feuilleton. Les tirages sont impressionnants. Ponson du Terrail crée le premier personnage récurrent avec le héros éponyme de Rocambole en 1857. Bandit repenti, celui-ci est devenu un justicier dont les aventures ont laissé l'adjectif "rocambolesque" à la postérité. Le roman populaire se décline en de nombreuses catégories : policier, science-fiction, sentimental, western... Certains auteurs comme Balzac, Flaubert ou Stendhal se démarquent de la littérature populaire.
Le début du XXème siècle confirme un véritable bouillonnement dans ce domaine avec des héros tels que Fantômas (entre 1911 et 1913), Arsène Lupin, Rouletabille, Sherlock Holmes, Tarzan ou Zorro. Le cinéma qui fait son apparition alors, ne menace pas la production des romans feuilletons. Les guerres non plus ; les soldats lisent dans leurs tranchées. C'est la démocratisation de la TSF et les feuilletons radiophoniques qui vont porter un coup fatal aux romans feuilletons dans la presse.
Chez les éditeurs, de grandes collections voient le jour : "Le Masque" (Fayard), la "Série Noire" (Gallimard), puis "Fleuve Noir" en 1949. En 1931, Fayard fait beaucoup de publicité autour du lancement par Georges Simenon d'un nouveau personnage : le fameux Maigret. Le roman d'espionnage (OSS 117, James Bond) connaît un essor favorisé par le contexte politique de la guerre froide. Les SAS font leur apparition dans les années 60, plus documentés mais aussi plus violents et érotiques. Après Mai 68, le roman policier connaît un renouveau et devient "polar" avec des auteurs comme Thierry Jonquet ou Fred Vargas.
Daniel Compère souligne que si les auteurs de romans populaires n'ont pas initialement de prétention artistique mais cherchent avant tout à distraire, cela n'enlève rien à l'importance de cette littérature. Elle est en effet le reflet d'une époque et de la façon de vivre de ses contemporains. Sans compter que parmi ces ouvrages, certains sont restés des livres majeurs aussi, sur le plan littéraire. Le roman populaire est bien un phénomène culturel profond. A suivre !
Daniel Compère est Maître de conférence à l'Université de la Sorbonne nouvelle-Paris 3. Grand spécialiste de Jules Verne, il a également publié un Dictionnaire du roman populaire francophone (2008) et tout récemment un ouvrage synthétique, Les Romans populaires (Presses de la Sorbonne nouvelle, 2011). Il est le président de l'Association des Amis du Roman populaire et responsable de la revue Le Rocambole.
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