© Julien Piffaut
Pauline Bureau adapte et met en scène La meilleure part des hommes, le premier roman de Tristan Garcia (Ed. Gallimard - Prix de Flore 2008), qui fit couler beaucoup d'encre à sa sortie. La pièce actuellement à l'affiche de la Comédie de Picardie, nous fait traverser vingt années de la vie de quatre personnages principaux, dont les histoires intimes s'inscrivent dans la grande Histoire.
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Tout commence à Paris en 1982, au moment où apparaît comme un coup de tonnerre, le virus du Sida qui va décimer la communauté homosexuelle. Valentine Levallois (Elisabeth dans le livre), jeune journaliste à Libération, est la narratrice et le trait d'union entre trois hommes : Leibo, Will et Doumé.
Jean-Michel Leibowitz est un intellectuel renommé d'origine juive. Après avoir été le professeur de Val, il devient son amant. William Miller n'a que 19 ans lorsqu'il arrive à Paris. Il vient d'Amiens, ses parents se sont séparés. Il a grandi avec sa mère dans une maison près d'Étouvie ("Rétrospectivement, on se rend compte du nombre de silences qu'il pouvait y avoir dans une maison comme ça, où l'amour était cassé, tu sais. Comme une corde...").
Il rencontre Valentine au cours d'une interview puis emménage chez elle. Elle lui présente Dominique Rossi (Doumé) journaliste à Libé, qui va passer du militantisme de gauche au militantisme contre la maladie et l'indifférence des pouvoirs publics. Séropositif, il est l'un des fondateurs de Stand-up, association de malades pour les malades, qui s'engage dans une lutte radicale.
"J’ai lâché les études, plus ou moins, j’ai milité. J’avais quand même du coffre. Je connaissais la rhétorique, une manière de faire peur, le chantage théorique. J’ai gardé ça, c’était une bonne chose, un véritable acquis. Disons qu’à l’époque, j’ai utilisé ça pour la lutte des classes [...] Est-ce qu’on y croyait ? Ça, oui. Mais, tu vois, ensuite, les années quatre-vingt, Stand et tout ça, ça on n’y croyait pas, non, on était vraiment ça, on défendait ce qu’on était, on essayait d’exister, c’est tout. C’est différent. Dans l’Organisation, par contre, on se battait pour des idées, auxquelles on croyait. Mais des idées, tu vois. Pas pour nos propres corps."
Will ne connaît pas grand chose de la vie (mais s'apprend-elle jamais ?) quand il rencontre Doumé, plus âgé et très investi dans la cause homosexuelle. Les deux hommes tombent amoureux et vivent en couple durant cinq années. Valentine poursuit sa relation avec Leibo pourtant toujours marié ("aimer c’est s’engager à aimer même quand on n’aime plus tout à fait, par respect pour la promesse d’avoir voulu aimer toujours"), commentateur de son époque à la trajectoire politique particulière, de la gauche vers la droite. Lorsque William et Doumé se séparent, le désamour se change vite en profond désaccord. A travers ce couple qui se déchire, ce sont deux conceptions qui s'affrontent, deux réactions face au Sida.
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D'abord chroniqueur dans la revue Blason, Will se pique de littérature et acquiert une petite notoriété. On le reçoit sur les plateaux télé, en bon client qui multiplie les provocations et masque à peine sa désespérance sous des dehors scandaleux. Tout le monde en parle, il est dans l'air du temps. Celui-là même qui n'a qu'un temps, bien sûr. Porteur du virus du Sida, il prône les rapports non protégés entre adultes consentants, au nom d'une liberté morbide et égoïste, tandis que Doumé milite en faveur du Safe sex.
William trahit ses amis et s'isole peu à peu. Il se démode. Son éditeur lui conseille le retour en province, à Amiens où la maladie va l'anéantir. Seule Valentine, un peu passée à côté de sa propre vie, reste auprès de lui. Dominique a suivi une tout autre voie, luttant pour l'accès aux soins et l'accompagnement des malades. Il est l'un des heureux bénéficiaires de la trithérapie, avancée considérable dans le traitement de la maladie, qui continue à faire des victimes cependant.
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Artiste associée à la Comédie de Picardie jusqu'en juin 2012, Pauline Bureau a notamment impressionné avec sa mise en scène du Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès en 2010. Elle persiste et signe avec La meilleure part des hommes, servie par d'excellents comédiens ; les quatre personnages principaux sont accompagnés de rôles secondaires très réussis.
La pièce, enchaînement de séquences assez brèves, ne manque pas de rythme, ni même d'humour. Des jeux d'ombre et de lumière très esthétiques délimitent l'espace. L'action a lieu sur la scène mais aussi en hauteur. La verticalité a son importance dans ce décor minimaliste.
Un grand écran, projette des vidéos d'archives. Il ne s'agit pas d'un gadget. Il fait surgir l'Histoire dans l'histoire, comme un personnage à part entière. Extraits de JT évoquant le Sida, images appartenant à notre mémoire collective (chute du mur de Berlin, attentats du World Trade Center, arrivée de Le Pen au second tour de la Présidentielle en 2002...) défilent devant nos yeux.
S'ils mettent en perspective la vie des personnages avec l'époque qu'ils traversent, ils nous renvoient aussi à notre propre mémoire, notre propre intimité. La musique est omniprésente, en live le plus souvent, grâce à l'énergique et indispensable Vincent Hulot.
La meilleure part des hommes est une pièce qui secoue. Certaines scènes -érotiques ou violentes- sont perturbantes. Comme sont perturbés les personnages qui cherchent leur place dans un monde en mouvement, où tout est sans cesse remis en question. Alors que le Sida compromet même la notion d'avenir pour certains, les relations sont forcément bouleversées. La société se cherche, les idéaux de gauche se heurtent au libéralisme mondialisé, on agite les peurs, on se replie sur soi.
Malgré les précautions de l'auteur et de son éditeur ("Les personnages de ce roman n’ont jamais existé ailleurs que dans les pages de ce livre. Si le lecteur juge cependant qu’ils ressemblent sous certains aspects à certaines personnes réelles qu’il connaît ou qu’il reconnaît, c’est simplement parce que, plongés dans des situations parfois comparables, personnes et personnages n’agissent pas autrement."), un certain nombre de personnages phares de l'époque en question, ont été reconnus dans ce livre. Jean-Michel Leibowitz a été rapproché d'Alain Finkielkraut, William Morris de Guillaume Dustan, et Dominique Rossi de Didier Lestrade, le fondateur d'Act-Up. Mais qu'importe au fond.
"Les hommes dont la meilleure part n'est pas le coeur, mais tout autour d'eux, leurs actes, leurs paroles, et tout ce qui s'ensuit, leurs parents, et leurs héritiers - ils se survivent, leur disparition n'est finalement qu'une péripétie de leur plus longue durée, à nos yeux. Quant à La meilleure part des hommes qui la gardent dans leur coeur, faute de mieux, jusqu'à la dernière heure, elle vit mais aussi elle meurt avec eux." (Tristan Garcia)
Né en 1981 à Toulouse, Tristan Garcia a intégré l'Ecole Normale Supérieure, puis s'est spécialisé en philosophie. En 2008, il publie son premier roman, La meilleure part des hommes, pour lequel il reçoit le prix de Flore. Il enseigne la philosophie à l'Université de Picardie Jules Verne à Amiens.
Pauline Bureau a été formée au Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique. Avec une quizaine d'acteurs, elle a fondé en 2002 la compagnie La Part des Anges, implantée à Fécamp ( Haute-Normandie). www.part-des-anges.com
Jusqu'au 13 avril 2012 à la Comédie de Picardie
La meilleure part des hommes
adaptation / mise en scène : pauline bureau
dramaturgie / adaptation : benoîte bureau
création lumière : jean-luc chanonat
création sonore : vincent hulot
scénographie : emmanuelle roy
costumes : alice touvet
avec : Yann burlot, Nicolas Chupin, Thibaut Corrion, Zbigniew Horoks, Vincent Hulot, Régis Laroche, Marie Nicolle, Anthony Roullier, Adrien de Van.
Tous les soirs à 20h30 sauf le mercredi 11 avril à 19h30 : rencontre avec l'équipe artistique à l'issue de la représentation. Durée 2h15. Bons plans étudiants : 3€
En tournée : Espace des Arts, scène nationale de Chalon-sur-Saône, du 17 au 19 avril 2012.
Scène nationale de Petit-Quevilly / Mont-Saint Aignan, le 10 mai 2012.
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