Samedi 16 février 2013, La crise, quelle crise ?, nouvel album BD collectif des éditions de la Gouttière, créait l'événement à Amiens puisqu'une quinzaine de ses auteurs étaient présents en dédicace dans cinq librairies de la ville : Bulle en Stock, Librairie du Labyrinthe, Librairie Pages d'Encre, Librairie Martelle et la Fnac. Une initiative sympathique qui invitait le lecteur à passer d'un lieu à l'autre pour les rencontrer, et à pousser la porte de librairies qu'il n'a pas forcément l'habitude de fréquenter.
Après Cicatrices de guerre(s) en 2009, le département éditorial d'On a marché sur la Bulle a proposé aux auteurs de la région de plancher sur le thème (fédérateur ?) de la crise. Un exercice difficile en quelques planches seulement. D'autres personnalités hors région se sont jointes au projet, mais dans chacune des dix histoires, l'un au moins des auteurs vit et travaille en Picardie.
Si la gestation de cet album a eu des allures de parcours du combattant pour l'éditeur (renoncement de certains auteurs renommés, faillite de l'imprimeur...), le résultat est à la hauteur des efforts engagés. Dix histoires très variées pour autant de points de vue sur cette fameuse crise. Une façon de démontrer efficacement que ses effets ne sont pas tout à fait les mêmes, selon la place que l'on occupe...
Le scénariste brestois Kris, a choisi de raconter l'histoire de son propre père, dont le commerce de meubles a subi la crise de plein fouet. Un récit aussi personnel qu'émouvant, qui rappelle que le mot "patron" recouvre bien des réalités dans notre pays.
Norédine Allam © Ed. de la Gouttière
Norédine Allam a souhaité nous mettre devant les yeux Le zapping de la crise, ce flot ininterrompu d'images qui nous parviennent du monde entier : anxiogènes, racoleuses, bouleversantes... La surmédiatisation renforce tous les phénomènes, et notre sentiment d'impuissance vis-à-vis de drames qui se jouent à l'autre bout de la planète.
Avec Venise Rigodon, Denis Lachaussée et Hardoc pointent du doigt les pratiques abusives de certains banquiers sans scrupules, qui profitent de la naïveté ou de l'ignorance de leurs petits clients. Une histoire qui relativise aussi l'importance de l'argent.
Denis Lachaussée/Hardoc © Ed. de la Gouttière
Lorsqu'il a décidé de s'investir dans cet album, Emmanuel Beaudry a tout de suite pensé y introduire le point de vue de l'enfance. Il a d'abord imaginé le mettre en perspective avec celui des adultes, avant d'opter pour une histoire entièrement consacrée à un échange entre deux petits au sujet de la crise, cette maladie bien étrange...
Emmanuel Beaudry/Raoul Douglas © Ed. de la Gouttière
Avec Voyage organisé, Nicolas Lochon et Alex-Imé nous plongent dans les tréfonds d'une société animalière où la crise fait des ravages... et où la lutte acharnée contre l'immigration fait office de réponse. Dans Carton, deux personnages cyniques et détestables nous montrent qu'entre le tout récent chômeur et celui qui travaille, le plus à plaindre n'est pas toujours celui qu'on croit... C'est beau ! de Dominique Zay et Greg Blondin est la seule histoire en noir et blanc, une fable grinçante qui met en scène un "grand" patron.
Money et Accroc au Krach nous emmènent dans un univers de traders débauchés où l'argent règne en maître. Enfin, la dernière histoire de l'album, signée Philippe Thirault et Emem, fait figure de douche froide. Intitulée Crisonomics, elle évoque un jeu de télé réalité qui a des conséquences sur la vie professionnelle des candidats. Malchanceux, ils prennent le risque de tout perdre... et bien plus encore.
Chacune des histoires de l'album est introduite par une citation très à propos (économie, finance, capitalisme...) qui nous replace dans un contexte historique plus large. Que l'on se rassure (ou pas), la crise, omniprésente dans les médias ou les discours économiques et politiques, n'est pas un phénomène récent.
"Il paraît que la crise rend les riches plus riches et les pauvres plus pauvres. Je ne vois pas en quoi c'est une crise. Depuis que je suis petit, c'est comme ça." Michel Colucci, dit Coluche (1944-1986).
Alors, la crise : cause ou conséquence de l'état de nos sociétés ? L'individualisme, la cupidité, la violence, le voyeurisme... en sont-ils des produits ou l'origine directe ? Les deux, sans doute ? Vaste sujet sur lequel cet album réussi nous offre de réfléchir, en dix histoires complémentaires... entre émoi et effroi.
Crisis ? What crisis ?, le quatrième album studio des Supertramp sorti en 1975, a inspiré le titre du collectif.
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