160 pages Éditions Licorne ISBN : 978-2-296-12087-7 avril 2012 - prix 15 €
Quatrième de couverture : "Un quartier, Victorine-Autier à Amiens, vit ses dernières heures. Ses trois tours sont détruites. Si certains habitants éprouvent un soulagement, d'autres demeurent indéfectiblement attachés à ces immeubles, à ce lieu. On peut ainsi lire dans Le dernier hiver de Victorine des témoignages empreints d'émotion et parfois de révolte. Parallèlement, des photographies permettent de suivre, sur une période de dix ans, les changements et la disparition du quartier."
En 2000, la rumeur enfle dans le quartier Victorine-Autier d'Amiens. Ses trois tours, grand ensemble architectural avec coursives et demi-lunes, érigé à partir de 1972 près d'un marais, vont être détruites. Il paraîtrait qu'elles s'enfoncent dans la terre... À moins que l'amiante n'en soit responsable ?
© Mourad Laffite
En fait, le quartier fait partie du programme de rénovation urbaine mis en oeuvre à l'échelle nationale dans le cadre de la politique de la ville. Si à l'origine, habiter les tours de Victorine-Autier gérées par l'OPAC (Office Public d'HLM), correspondait à une promotion sociale, avec l'accès au confort moderne, la situation s'est détériorée au fil des années.
Les logements se sont dégradés jusqu'à devenir insalubres, la délinquance a augmenté, et les tours ont pris des allures de ghetto pour leurs habitants. À son arrivée en 2008, la nouvelle équipe municipale a demandé une étude afin de déterminer si une réhabilitation était encore possible. Cet audit a confirmé que la destruction de l'ensemble "par grignotage" reviendrait moins cher que sa rénovation.
© Mickaël Accart
"Archéologues du souvenir", Catherine Petit et Philippe Lacoche sont allés à la rencontre des habitants du quartier Victorine-Autier. En 2002, ils ont rassemblé leurs paroles collectées, dans un ouvrage illustré par les photographies d'Éléonore Lelong : Dans la poche de Victor. Catherine Petit travaillait à cette époque pour Le Cardan, association de lutte contre l'illettrisme qui avait aménagé une bibliothèque dans les tours Daudet.
Catherine Petit © Éléonore Lelong
En 2004, alors que certaines familles ont déjà commencé à partir, un nouvel atelier d'écriture est mené. Les habitants sont invités à imaginer le quartier après eux. En 2011, alors que la destruction des tours est progressivement mise en œuvre, les auteurs retrouvent des habitants relogés ailleurs pour recueillir leurs impressions.
© Christine Brisset-Le Mauve
Les habitants du quartier oscillent entre le rejet et l'attachement quand ils évoquent V.A, comme ils l'appellent. Mais c'est le second qui prédomine, amplifié sans doute par la disparition imminente des tours et de tout un pan de leur passé. Malgré l'insalubrité, malgré les chiens, les déchets qui tombent des fenêtres, les trafics et la violence, la population -et cela peut surprendre- entretient un lien affectif fort avec les tours Daudet. "Ici, c'est bien situé. Toutes les races vivent ensemble. On vit comme ça, dans l'amour, dans l'amitié, la gaieté".
Leur parole est souvent touchante, voire poétique. Elle est drôle aussi parfois. "Ici, on emprunte, on ne vole pas. Mais on ne rend pas." La peur du changement et de l'inconnu qui les attend est palpable, mêlée à une certaine résignation. "Tout le monde a peur en ce moment. Si t'as des dettes, expulsé quartier chaud. Si t'as pas de dettes, quartier chic."
© Mickaël Accart
La mise en perspective de la parole des politiques, ou décideurs, avec celle de la population du quartier apporte également un éclairage sur les options qui ont été retenues. Valérie Wadlow, adjointe à l'urbanisme à la ville d'Amiens, considère qu' "il n'y a pas de déterminisme entre la forme urbaine et les conditions de vie des gens." Certains ensembles proposent aujourd'hui des conditions de vie luxueuses. Pour des raisons complexes, à Victorine-Autier, les choses ont basculé assez vite vers la stigmatisation, comme l'explique Jacques Lessard, adjoint aux finances. De nombreuses nationalités cohabitaient dans ces logements sociaux, enclave au milieu des logements individuels. Le quartier a rapidement eu mauvaise réputation.
© Mickaël Accart
La politique de la ville n'est pas une science exacte. C'est, au contraire, un domaine sensible qui exige une prise en compte conjointe (et compliquée !) du bâti et de l'humain. Avec des moyens qui sont toujours plus restreints ou difficiles à mettre en œuvre... On sent souvent de la défiance ou de l'incompréhension chez certains habitants auxquels s'appliquent les choix politiques ("Que ceux qui prennent des décisions s'impliquent plus ; ils n'ont qu'à voir au lieu de se contenter de lire des livres de sociologie ou autres... et essayer d'appliquer des théories.") Ils ont besoin d'être accompagnés lors des processus de destruction, de réhabilitation ou de relogement.
© Christine Brisset-Le Mauve
Sans cet accompagnement et la prise en compte des difficultés sociales, la rénovation urbaine est utile, mais souvent aussi insuffisante à régler les problèmes ("Quand je suis arrivée ici, j'ai été mal accueillie par les gens du quartier car ils nous considéraient comme des cas sociaux. Ils disaient que je restais comme une clocharde. Je n'osais pas laisser mes enfants aller dehors, ils se faisaient traiter. Les gens, ici, nous méprisent. Ils n'aiment pas les têtes qui viennent de Victorine-Autier.").
Ce livre est intéressant en ce qu'il correspond à une démarche collective et participative. Les auteurs se sont mis à la portée et au service de la parole des habitants qui avaient - forcément - des choses poignantes à dire sur la destruction de leur quartier. Le livre et l'écriture trouvent là leur entière vocation qui est, parmi d'autres, de laisser une trace, de respecter et de prolonger la mémoire. Celle d'un lieu, celle des hommes.
© Mickaël Accart
Philippe Lacoche nous offre un "bonus" dans ce livre, une nouvelle intitulée Des vies en Mars, avec Victorine-Autier pour toile de fond. Comme toujours chez lui, il y est question de nostalgie, d'amour et de belles rencontres. Il est question de vie, malgré tout... et de musique.
"On est passés par là ; il faut qu'il reste une trace."
Voir ICI l'article évoquant la présentation du livre par les éditions Licorne au Salon du Livre de Paris 2012
Catherine Petit est à la fois conteuse lyrique et lectrice à voix haute. La collecte de paroles est pour elle un engagement et une source d'inspiration.
Philippe Lacoche, romancier et nouvelliste, est également journaliste au Courrier Picard. Son livre précédent s'intitule Des rires qui s'éteignent (éd. Écriture, 2012).
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