271 pages
À Contresens Éditions
ISBN : 979-1-0904-0803-6
Juin 2012 - prix 16 €
Quatrième de couverture : "Eva, perdue dans les brouillards du Chemin des Dames, l’Inconnu, réfugié dans son cabanon, et Horia, journaliste révolté des plaines désolées du Danube, sont en quête de leurs origines, d’une langue, d’un territoire. Cette soif d’identité va étrangement mêler leurs destins…"
Trois personnages principaux, trois trajectoires se rencontrent dans ce roman. L'inconnu qui demeure toujours anonyme, a choisi de se retirer du monde et de vivre en marginal. "Je me sentais un inconnu en terre connue, c'est ce qui m'a fait prendre la décision de rester dans le dehors, toujours dans le dehors." Il habite seul et sans confort, dans un cabanon de Picardie.
Bientôt, sa solitude croise celle d'Eva. La jeune femme a trouvé refuge près du Chemin des Dames, dans la maison de campagne de ses parents. Le médecin lui a prescrit du repos. Elle laisse la vie et les choses glisser sur elle. Elle lit, invariablement, des ouvrages de sociologie dans lesquels l'inconnu se plonge à son tour. En camarades, ils recréent peu à peu la douceur d'un foyer, dans une proximité silencieuse.
Eva rencontre Horia Gherasim à Paris chez sa mère, Madame A., une Roumaine qui a quitté son pays lorsqu'elle avait une vingtaine d'années. Le journaliste s'intéresse à leur maison familiale de Brǎila, sur les bords du Danube, nationalisée par l'État sous le régime communiste et dont Madame A. souhaite se voir restituer la propriété. Il oscille entre Paris et la Roumanie. Il jette sur son temps un regard sans complaisance, ulcéré depuis toujours par l'injustice, sans illusions mais pas résigné pourtant. "Horia se demande si "frontière" ne serait pas le mot à l'origine de la querelle universelle."
Est-il question d'amour entre Eva et Horia ? Faut-il toujours nommer les choses ? Il est question de séduction et d'attraction. De violence parfois. Lorsque le journaliste emmène la jeune femme en Roumanie, pour un long périple jusqu'aux origines, elle le suit, comme aspirée dans un parcours initiatique. Ce sont aussi ses racines à elles qui sont restées là-bas.
Ce roman atypique est une réflexion fouillée sur la question du soi, de l'identité personnelle, et de son articulation avec l'identité collective. Il pose la question du rapport à l'autre en général, et du rapport à l'étranger en particulier : "L'étranger est indispensable à l'autre. C'est à travers le traitement qu'on lui réserve qu'on peut mesurer l'état moral d'une nation. L'étranger est en quelque sorte un veilleur de conscience".
"Fondamentalement inconnu, naturellement lointain, l'étranger. "Qui est d'une autre nation", définition donnée par le dictionnaire. Synonymes : immigrant, métèque, réfugié, cosmopolite, ennemi, inconnu. De tous je préfère le dernier : "inconnu". C'est le premier sens que le dictionnaire devrait donner pour souligner cette évidence : l'homme sera toujours un inconnu pour ses semblables. L'étranger que je suis ne vient pas d'ailleurs. Égaré parmi les miens, je me suis exilé en moi. L'inconnu ne vient jamais de ce que l'on ne connaît pas, mais de ce qui nous connaît. L'enfer c'est les autres, disait Sartre. Autrement dit, l'étranger c'est les autres. Comment se connaître soi-même alors que les autres nous sont inconnus ? Comment se faire reconnaître par ses pairs sans pour autant leur ressembler ?"
Le livre nous promène de Paris à la Roumanie -qui panse difficilement les plaies de son Histoire- en passant par la Picardie profonde. Il nous emmène à travers l'Europe, patchwork d'identités, de cultures et de souffrances, où se croisent et se côtoient tant de déracinés.
Lucia Jalba qui connaît bien son sujet, s'intéresse en outre à la langue, avec le personnage polyglotte d'Horia Gherasim. Cette langue mystérieuse -élément fondateur de l'individu et lien social par excellence- qui pose tant de questions : "À quelle langue appartenir ? À quelle langue me vouer ? Dans quelle langue rêver ? Dans quelle langue écrire ? La langue : patrie du corps errant, âme de la pensée, conscience du songe."
"Le mot n'est pas un voyage mais un exil. Maintenant, j'écris en français parce que je préfère penser en français et chaque mot que j'écris m'enchaîne davantage. Néanmoins, à chaque retour, j'essaye de retrouver la langue maternelle qui m'a abandonné. Je cherche, encore et encore un placenta qui me fasse renaître ! Comme je lui en veux de ne pas avoir su me garder ! Étrange patrie que cette matière, la langue. J'essaye de trouver où loge la mémoire de la langue dans notre corps. Peut-être, au même endroit que l'âme ?"
Le personnage-narrateur change à chaque chapitre. Il est tour à tour Eva, l'Inconnu, Horia Gherasim ou même un cheval, qui traverse les époques et les paysages. Cette construction particulière qui évite la lassitude, éclaire le lecteur sur l'intériorité des personnages et sur leur perception des situations qu'ils vivent en commun.
Poussières d'Est est un roman sérieux, presque philosophique, qui aborde des thèmes difficiles avec intelligence et poésie. Les relations entre les êtres y sont complexes, parasitées par la relation que chacun entretient avec sa propre histoire. Le roman interroge sur l'exil, sur notre Humanité, ce qui nous rassemble et ce qui nous dissocie. "Partir et revenir, repartir pour revenir, ceci est le cercle dans lequel s'inscrit le chemin d'un déraciné. Le fermer ou le briser sont les seules possibilités qui s'offrent à lui".
"La poésie est un cordon ombilical aussi, la musique, la peinture, la photographie,
liens entre le cauchemar qu'est la vie et le désir de beauté
dont même le pire des êtres infâmes rêve."
Lire ICI un article consacré à un débat sur le thème des racines en présence de Lucia Jalba.
Lucia Jalba a vécu son adolescence à Brǎila sous la fin du règne de Ceaucescu. Après des études de littérature et langues étrangères à l'Université de Constanta, elle exerce comme journaliste pour l'agence nationale Rompress. Puis viennent le déracinement et l'amour de la littérature française. Professeur documentaliste, elle réside à présent en Picardie.
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