Du 24 au 27 janvier 2012, la Comédie de Picardie accueille deux pièces courtes de Marivaux : L'épreuve, mise en scène par Agathe Alexis, suivie
de Les acteurs de bonne foi, mise en scène par Robert Bouvier. L'un et l'autre sont également comédiens.
© Fabien Queloz
L’épreuve
Agathe Alexis : Mise en scène
Robert Bouvier : Lucidor
Marie Delmarès : Angélique
Nathalie Jeannet : Lisette
Guillaume Marquet : Blaise
Frank Michaux : Frontin
Maria Verdi : Madame Argante
Dans L'Epreuve (1740) : Lucidor, riche bourgeois parisien à la campagne pour affaires, est accueilli par Madame Argante et sa fille Angélique, dont il s'éprend très vite. Moins fortunée
que lui, elle lui semble cependant digne de son amour : "il est vrai qu'Angélique n'est qu'une simple bourgeoise de campagne ; mais originairement elle me vaut bien, et je n'ai pas
l'entêtement des grandes alliances ; elle est d'ailleurs si aimable, et je démêle, à travers son innocence, tant d'honneur et tant de vertu en elle ; elle a naturellement un caractère si
distingué, que, si elle m'aime, comme je le crois, je ne serai jamais qu'à elle".
Tout pourrait sembler bien simple en somme, et le bonheur à portée de main. Mais Lucidor se met en tête d'éprouver l'amour d'Angélique dont pourtant, il n'a aucune raison de douter. Il demande
donc à son valet Frontin, d'endosser le rôle de l'un de ses riches amis venu de Paris afin de demander la jeune fille en mariage. Dans le même temps, il encourage Maître Blaise, un jeune fermier
du village, à courtiser Angélique à son tour, afin de la mettre doublement à l'épreuve.
© Fabien Queloz
Les malentendus se succèdent. Les faux-semblants prennent le pas sur la réalité. L'argent que distribue abondamment Lucidor lui permet d'agir sur les uns et les
autres à sa guise. Angélique seule, demeure fidèle à elle-même, étrangère à toute manipulation. Dominée par des sentiments purs et désintéressés, elle résiste remarquablement à tous les pièges
tendus. Elle proteste même avec force contre les propositions de mariage qui ne s'accordent pas avec son coeur. Mais elle souffre !
Pour un peu, Lucidor serait victime de son propre stratagème. Les deux amants manquent de se perdre, chacun évitant de mettre son coeur à nu. Mais pour quelle raison un homme peut-il imposer à
celle qu'il aime une si cruelle épreuve ? Peut-être une forme d'orgueil (André Gide avant la lettre : "Pour moi, être aimé n’est rien, c’est être préféré que je désire") ?
© Fabien Queloz
A bien y regarder, il semble plutôt que le jeune homme manque surtout de confiance en lui-même. Mérite-t-il les faveurs d'Angélique, où est-ce à son argent qu'il
les doit ? Son amour trop anxieux le pousse, avant de se déclarer, à obtenir toutes les garanties qu'on l'aime bien en retour. (Angélique. "...mais que me voulez-vous donc ? Lucidor. "Vous
donner des témoignages de l'extrême amitié que j'ai pour vous, à condition qu'avant tout, vous m'instruisiez de l'état de votre coeur. " Mais en amour, peut-on seulement parler de certitudes
?
"Deux mondes s’opposent dans ces petites pièces, celui de la ville et celui de la campagne, la Cour et la Nature. Toutes deux ont
un dénominateur commun : l’art de tester sur le mode comique ou parfois douloureux les faiblesses et les tentations de l’amour. Il s’agit pour le metteur en scène d’accorder au registre du
comique la part sombre et ambiguë du stratagème peu orthodoxe (L’épreuve) pour vaincre une jeune fille simple et joyeuse et l’amener à l’aveu d’un amour dont Lucidor ne doute guère. Il est riche,
il veut être aimé pour lui-même. En homme d’expérience, il veut savoir si Angélique est en mesure de pénétrer son propre sentiment, car il sait bien, lui l’homme du monde, que la séduction
s’incorpore au pouvoir et à l’argent. Dans cette «épreuve», Angélique, si joyeuse et si émouvante, apprend de l’homme qu’elle aime son dur métier de femme…" Agathe Alexis
© Fabien Queloz
Les acteurs de bonne foi
Robert Bouvier : Mise en scène
Agathe Alexis : Madame Amelin
Robert Bouvier : Le notaire
Marie Delmarès : Angélique
Anthony Scott : Blaise
Sandrine Girard : Colette
Nathalie Jeannet : Lisette
Guillaume Marquet : Eraste
Frank Michaux : Merlin
Nathalie Sandoz : Araminte
Maria Verdi : Madame Argante
Dans Les acteurs de bonne foi (1757) : Madame Amelin a demandé au valet Merlin de donner une petite comédie impromptue à l'occasion du mariage de son neveu Eraste, avec Angélique. Les
répétitions s'organisent entre Merlin et ses amis Lisette, Colette et Blaise. Mais Madame Argante, le mère d'Angélique, refuse que la représentation ait lieu. Madame Amelin décide alors en
représailles, de jouer un mauvais tour à la petite compagnie. Elle veut feindre finalement de donner son neveu en mariage à Araminte, une amie veuve beaucoup plus argentée qu'Angélique.
© Fabien Queloz
Ici, Marivaux abolit les frontières entre le théâtre et la vie. Il en montre les vertus et les pièges. Nos quatre compères du petit peuple répètent une pièce à canevas dans laquelle leurs deux
couples sont mis à mal. Merlin qui dans la vie aime Lisette, doit feindre de l'inclination pour Colette. Celle-ci qui est en couple avec Blaise, doit s'y montrer sensible.
Cet impromptu devient franchement comique quand nos personnages perdent pied. Le théâtre est dans le théâtre. Les personnalités se révèlent-elles dans ce jeu ? Qui triche ou non ? Qui aime
vraiment qui ? (Blaise. "...on se raille de ma parsonne dans ce peste de jeu-là, noute maîtresse ; Colette y fait semblant d'avoir le coeur tendre pour Monsieur Merlin, Monsieur Merlin de li
céder le sien ; et maugré la comédie, tout ça est vrai, note maîtresse ; car ils font semblant de faire semblant, rien que pour nous en revendre..."). La scène tourne vite au réglement de
comptes.
© Fabien Queloz
Une autre comédie va se jouer bientôt avec le stratagème que Madame Amelin met au point pour tout à la fois railler et sonder le coeur de ses hôtes. Privée de l'impromptu qu'elle avait demandé à Merlin, la voilà décidée à faire jouer une autre pièce. En faisant croire à Madame Argante qu'elle ne donne plus son neveu -et héritier- en mariage à sa fille Angélique, elle bouleverse l'équilibre des relations entre les uns et les autres. Les questions de l'argent et de la condition sociale se dessinent en filigrane. Chacun sort de lui-même. Marivaux, qui écrit cette pièce tardivement, explore avec brio deux thèmes qui lui sont chers : les relations humaines et le théâtre. Celui-ci n'est-il pas une excellente façon de faire tomber les masques ?
"Depuis plusieurs années, je rêve de me confronter à
Marivaux et ses cruelles mises en abyme. Mon approche du théâtre a été celle d’un comédien obnubilé par les questions de légitimité artistique et d’authenticité. Quel était le rôle social,
politique du théâtre, quelle en était la mission profonde et comment le comédien devait-il se définir face à son art? Dans Les acteurs de bonne foi, on décide de donner un spectacle à l’occasion
du mariage futur de deux jeunes gens mais aucun des protagonistes n’est familier à l’art théâtral et chacun entretient avec lui un rapport très différent. Il y a ceux qui s’en méfient, ceux qui
s’en amusent, ceux qui spontanément le maîtrisent à merveille, et ceux qui le méprisent. La frontière entre crédules et manipulateurs devient vite ténue…" Robert Bouvier
Scénographie & costumes : Gilles Lambert
Lumières : Laurent Junod
Son : Jaime Azulay, Cédric Liardet
Accessoires : Yvan Schlatter
Avoir réuni ces deux pièces dans un spectacle de 2h10 est une belle idée. Le dyptique est joyeux et rythmé. Les comédiens servent le texte de façon irréprochable. Leur jeu pointe avec justesse l'ambiguité des sentiments et le caractère souvent comique de certaines répliques ou situations. L'esthétique de la mise en scène est soignée : décors, costumes, musique, jeux d'ombres et de lumière. Ce marivaudage est savoureux, un bon divertissement... et l'occasion de réviser nos classiques.
Découvrez le Dossier pédagogique de la pièce ICI
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