Rencontre avec Patrick Réchou
Grand René et le brochet fabuleux (Ed. Librairie du Labyrinthe) est le premier ouvrage publié par Patrick Réchou que nous retrouvons au restaurant Le Pré Porus. Il nous livre une histoire touchante de pêche et d'amitié sur les bords de Somme dans les années 50, joliment illustrée par Dominique Scaglia.
Patrick Réchou est né chemin du halage et c'est tout naturellement qu'il nous conte aujourd'hui les aventures halieutiques de Grand René, pêcheur de brochets qu'il a connu enfant. Entre imaginaire et souvenirs, il nous décrit "le petit peuple du Café du Pont", une bande d'amis attachante qui se retrouve le soir chez Reine, siège de la société de pêche "Les Menus Fretins".
Au bord de la Somme, dans ce "coin de campagne à la Ville", la pêche est à cette époque une activité incontournable et fédératrice. L'ancien charpentier Grand René est hanté par une obsession : capturer un brochet fabuleux qui lui vaudra l'admiration de ses pairs et de toute la population locale.
Sa passion indéfectible pour la pêche, il la partage avec deux enfants du chemin de halage qu'il a pris en affection. Ses petits voisins sont ses seuls compagnons dans les moments où il traque le brochet, sur les bords d'un fleuve dont Patrick Réchou fait un personnage à part entière. Isabelle et Nicolas sont deux petits, imaginatifs et complices, qui apprécient la gentillesse et l'expérience de leur vieil ami.
Grand René est un homme simple, dans le meilleur sens du terme. Un homme généreux et bon, animé par un grand rêve. Patrick Réchou lui rend un bel hommage en immortalisant dans son livre la prise du brochet fabuleux. Le duel entre le pêcheur et son poisson a des allures d'épopée. Il célèbre des valeurs telles que le courage, la volonté et l'engagement personnel.
Cette histoire touchante fait revivre une époque où l'amitié et la solidarité primaient entre les voisins du chemin de halage. La nostalgie de l'auteur affleure tout au long du récit. Son écriture est imprégnée de sensations liées à l'enfance. Il fait bon pour le lecteur picard, opérer ce voyage dans le temps et retrouver pour un moment "cet Amiens de l'après-guerre où les gens commençaient à reprendre la mesure de leur vie".
Le chemin de halage relie les villages ; il relie aussi les hommes, dont l'histoire est attachée à celle de la rivière qu'ils considèrent avec une affection toute particulière. Les gens d'ici aiment à sentir, tôt le matin, les effluves du grand Marais picard, quand se mêlent en une subtile alchimie l'odeur âcre de la tourbe et le parfum enivrant de la menthe sauvage.
-> Patrick Réchou met sa plume au service des autres. Il s'est installé comme écrivain public à cette adresse : Motàmot 6 Bis, rue de Cosse 80260 Villers-Bocage - 06.31.05.28.28 - pr-ecripub@orange.fr7
Le Pré Porus - L'auberge au bord de l'eau
95 Rue Voyelle - 80000 Amiens
0322462503 - 0670236028
Site Internet : www.lepreporus.com
Rencontre avec David François (reportage à la minute 16 de l'émission)
Après L'Étrange affaire des corps sans vie (Ed. Paquet), le duo David François (dessinateur) et Régis Hautière (scénariste) nous livre une bande dessinée au suspense haletant : De Briques et de sang (Ed. Casterman). Dans cette histoire, qui se situe juste avant la Première Guerre mondiale, au Familistère de Guise dans l'Aisne, une série de meurtres est commise.
Un journaliste de L'Humanité, Victor Leblanc, enquête sur cette affaire avec l'aide de la jeune Ada, habitante du Familistère qui lui sert de guide. Leur tandem offre ainsi au lecteur un double regard sur l'endroit : celui d'un étranger et celui d'une familistérienne qui en connaît tous les secrets. Ou presque.
C'est d'ailleurs elle qui raconte dans le livre. Dans les premières pages, nous sommes en 1938. Ada, revenue au Familistère à la mort de son père, est assaillie par les souvenirs. Elle prend la plume pour raconter à une amie : "une affaire terrible qui a bouleversé la Palais social et la communauté qu'il abrite".
L'idée géniale de Régis Hautière est d'avoir choisi un endroit insolite et chargé d'histoire comme théâtre de ces crimes. Le gigantesque Palais Social de Guise est un exemple unique d'utopie réalisée dans la seconde moitié du XIXe Siècle par Jean-Baptiste Godin.
À l'origine ouvrier, Godin est l'inventeur du fameux poêle en fonte, qui lui permet de faire rapidement fortune. S'inspirant de la théorie du phalanstère de Charles Fourier, il décide de faire construire un palais destiné au logement de ses ouvriers et de leurs familles.
Il souhaite leur offrir "les équivalents de la richesse", des conditions de vie confortables (et hors d'atteinte pour la classe ouvrière de l'époque), ainsi qu'un accès à la culture (école, bibliothèque, théâtre...). L'usine de Godin devient en outre une Coopérative de production. Les ouvriers sont propriétaires avec lui de leur outil de travail. C'est un exemple d'association capital-travail qui va durer presque un siècle.
Régis Hautière et David François nous plongent au cœur du Familistère où vivent en vase-clos ces familles ouvrières. Ce sont presque 2000 personnes qui cohabitent ainsi sur plusieurs générations. Dans ces circonstances, on ne s'étonne guère de voir surgir des tensions, des rancœurs et des règlements de compte...
La bande dessinée est pédagogique dans le sens où le Familistère et son fonctionnement y sont clairement expliqués. Mais cet aspect didactique ne nuit jamais au récit ; il s'y mêle habilement. Le dessin de David François entretient une atmosphère de mystère et de promiscuité pesante. Les couleurs sont vieillies, un peu sales. Les personnages sortis de son imagination sont de vraies "tronches" qu'il se plaît à nous montrer en gros plan. Le lecteur est immergé dans un univers glauque et inquiétant.
Le fait que l'action se déroule en 1914 ajoute une dimension intéressante et de la crédibilité au scénario. Dans De Briques et de sang, la grande histoire chasse la petite. Jaurès est assassiné le 31 juillet 1914. Le journaliste de l'Humanité qui enquêtait sur les meurtres du Familistère est pris par d'autres obligations. La bataille de Guise marque le début de la Première Guerre mondiale le 29 août 1914. Tout le contexte justifie que l'affaire tombe... aux oubliettes.
Le lecteur n'est, lui, au bout de ses surprises qu'à la dernière page du livre. Il se laisse forcément captiver par l'histoire dans un Familistère que David François restitue avec talent. Cette BD bien ancrée dans notre territoire picard est une réussite. Elle faisait partie de la sélection officielle du Festival d'Angoulême 2011.