Rencontre avec Erik Orsenna
Nous avons rencontré Erik Orsenna à la librairie Martelle à l'occasion de la parution de Et si on dansait (Ed. Stock), le quatrième opus des aventures de Jeanne et Tom, échoués sur l'archipel des mots après leur naufrage de La grammaire est une chanson douce.
Erik Orsenna poursuit ses aventures grammaticales sur le mode du conte. Et quel meilleur choix pour toucher les esprits - et les coeurs- des Français, de 7 à 77 ans ?
Car il s'agit bien pour lui de raviver notre amour et notre compréhension de la langue française, patrimoine commun sur lequel il veille également en tant qu'académicien. La grammaire rapproche, la grammaire relie, la grammaire accorde
.
Jeanne a grandi. A 16 ans, elle est devenue une "dealeuse de phrases" pour sa subsistance et celle de son frère, apprenti musicien, en attendant que sa gloire vienne
. Ecrivain fantôme, elle met donc ses talents au service des autres: élèves en mal d'inspiration, amoureux malhabiles ou... politiciens à la plume désastreuse. Pour écrire, il faut, comme Jeanne, vivre dans la connaissance des mots et l'amitié des phrases. Et ce n'est pas donné à tout le monde
.
Erik Orsenna en sait quelque chose. Il a lui-même été un "nègre" prestigieux, écrivant notamment des discours pour François Mitterrand. Il y a beaucoup de lui en Jeanne. A commencer par l'amour des mots bien sûr, et par celui de la musique omniprésente dans son ouvrage : Sans doute que, pour exprimer la mobilité, la fantaisie, la liberté indomptable des sentiments, rien ne vaudra jamais une mélodie
.
© Montse Bernal/Zegma.com
Et qu'est-ce que la ponctuation dont il fait l'éloge dans ce livre, sinon la musicalité et le rythme de notre langue? Jeanne comprend le sens que peut prendre la ponctuation dans sa vie. Et Erik Orsenna fait vivre sous nos yeux amusés, tous ces signes familiers souvent négligés. Voici la virgule qui s'intercale entre les multiples conquêtes de Tom, les parenthèses qui enveloppent et permettent de raconter une histoire dans l'histoire, le point-virgule espèce menacée qu'il faut sauvegarder, le point final qui martèle l'achèvement ou les points de suspension quand l'espoir renaît...
Dans cette aventure, Jeanne découvre l'épave du Paraíso et son drôle de chargement : des mots arrachés de leurs livres sous le règne de Nécrole, le dictateur. Elle doit déployer des trésors d'ingéniosité... et de rythme, pour les rendre à leurs histoires; car Un mot sorti de son histoire est comme un poisson hors de la mer
.
© Montse Bernal/Zegma.com
Dans Et si on dansait, Jeanne croise un autre amoureux et fervent défenseur de la langue française : Léopold Sédar Senghor qu'Orsenna ressuscite pour un hommage légitime. Le "Président-poète" du Sénégal qu'il a bien connu, fut l'un des pères fondateurs de la Francophonie et membre -lui aussi- de l'Académie Française.
Orsenna nous rappelle que la ponctuation est un espace de liberté dans la langue, au contraire de l'orthographe ou de la grammaire dont les usages sont fixés. Musique et liberté : deux mots qu'il chérit particulièrement. Au même titre que la curiosité : moteur de son oeuvre... et de sa vie. Lorsqu'il ne comprend pas une chose, il écrit un livre à son sujet. Par chance, cette curiosité est généreuse, et jamais rassasiée. Et il nous fait profiter de ses découvertes avec le talent d'un enseignant passionné.
www.erik-orsenna.com
Poursuivre avec Erik Orsenna
La chanson de Charles Quint, Mille Regretz, était célèbre à la Renaissance.
Il est un fantôme qui surgit n'importe quand, sans prévenir, au milieu d'un repas, d'une promenade, au beau milieu de l'amour lui-même, un fantôme contre lequel la danse ne peut rien : le regret.
(Erik Orsenna)
Tout commence avec l'évocation d'une famille française, et la relation de deux frères que tout oppose. Il était une fois deux frères: un frère à l'amour morcelé et un frère à l'amour unique. Et ils s'enviaient..
L'aîné des deux, le narrateur, ressemble à s'y méprendre à l'auteur lui-même... Il enchaîne les amours brèves, avec une instabilité et une manie de la rupture
qui exaspèrent son cadet.
Jusqu'au jour où il rencontre enfin une femme soleil
, sa femme, que la maladie lui ravit après quatre ans d'amour...Ces quatre années n'ont pas d'histoire. Peut-être parce que la vie pleine ne laisse pas de place aux mots. Et moins encore à cette sorte de demi-mots que sont les souvenirs.
Brisé par la douleur, notre héros refuse de faire le deuil de son soleil
. Pourquoi tuerais-je en moi celle qui est déjà morte? Pas question d'engraisser l'un de ces professeurs de deuil. Je résolus d'avancer à ma guise et à mon allure, parmi les souvenirs et les regrets, je serai un flâneur, un paresseux, un paresseux du deuil.
Hanté par une question: où vont les morts après la mort?, il nous livre le récit de ses voyages et de ses recherches pour retrouver la femme qu'il aime, s'en rapprocher, la sentir de nouveau. Sa quête le conduit d'un continent à l'autre, d'une philosophie ou d'une religion à une autre...
Peu à peu, le chagrin se dissout. Mais le dialogue se prolonge avec elle, avec son fantôme. La vie continue. L'amour renaît pour une autre femme. Les deux frères ne semblent plus si différents. Erik Orsenna a le sourire.
...mes amis savaient quelle désolation se cachait derrière le sourire perpétuel. Leur mesure à eux de la tristesse était justement l'étendue de ce sourire. Plus ils le voyaient grandir, plus ils frissonnaient : ils avaient compris qu'une nouvelle rafale avait frappé leur ami. Depuis le temps qu'ils le connaissaient, ils n'étaient pas dupes de ce sourire. En général, la taille des paravents indique assez fidèlement le volume et le danger des choses que l'on veut cacher derrière.
(La chanson de Charles Quint Erik Orsenna)
3 rue des Vergeaux - 80000 Amiens
03 22 71 54 54
Ouvert du lundi au samedi de 10h à 19h sans interruption
Site Internet de vente en ligne: www.librairiemartelle.com
L'association Paroles d'Hommes et de Femmes
utilise la mémoire pour tisser du lien social et renforcer les relations intergénérationnelles. Des écrivains publics recueillent la parole de témoins qui ont ainsi l'occasion de raconter leur histoire, et de partager leurs expériences de vie.
Cette parole est ensuite portée dans les écoles ou... mise en bande dessinée. L'association publie en effet des récits illustrés de migrants, sous forme de BD, dans le but d’utiliser le parcours biographique comme source de culture et de pédagogie.
Ces ouvrages seront distribués aux CDI des établissements participant à l’action "100 témoins, 100 écoles" et aux CDI des établissements scolaires des régions partenaires.
Le tome 1 : Les migrants : parcours picards, relate les itinéraires de 6 témoins venus d'Algérie, du Maroc, du Cameroun, du Congo, d'Haïti, et d'Allemagne, et qui ont migré vers la Picardie. Il sera suivi de cinq autres tomes sur des migrants d'autres régions. Ces ouvrages sont édités sous la direction de Frédéric Praud, écrivain public biographe. Florence Brethes, écrivain public biographe, est au scénario. Hamed Borsali et Kiel, sont au dessin.