Le Salon du livre et de la BD de Creil organisé par l'association "La Ville aux Livres" a fêté son vingt-cinquième anniversaire du 16 au 20 novembre 2011 à l'espace culturel La Faïencerie.
Boris Cyrulnik et Elisabeth Brami étaient respectivement invité d'honneur et marraine de cette édition 2011 qui avait pour thème : "Familles". Thierry Ségur était l'auteur de l'affiche cette année.-> Cliquez ICI pour découvrir l'intégralité du programme de la manifestation
Ce Salon est un événement incontournable en Picardie. Durant cinq jours, il invite scolaires et grand public à découvrir plus de 9000 livres et à rencontrer une centaine d'auteurs ou illustrateurs en dédicaces. Ils sont environ 16000 visiteurs à venir profiter gratuitement des animations, lectures, débats, spectacles ou expositions organisés à cette occasion.
"Familles" était le thème universel et fédérateur choisi par l'association "La Ville aux Livres" pour cette édition 2011. De nombreux professionnels (neurologues, psychologues, psychiatres, psychanalystes, obstétriciens...) spécialistes de la famille ont ainsi pu croiser leurs regards avec ceux d'écrivains, de poètes, ou de conteurs notamment.
Au cours de débats très suivis par le public, l'écoute des expériences professionnelles ou artistiques de chacun a permis d'apporter des éclairages intéressants sur des problématiques qui nous concernent tous. L'émotion a souvent été au rendez-vous. Les intervenants ont su faire preuve d'une grande humilité face à tous les bouleversements que la famille a connus ces dernières décennies. Des mutations (sociales, scientifiques, techniques...) que tous s'efforcent de décoder et auxquelles la société peine parfois à s'adapter.
D'autres animations ont connu un franc succès, comme les contes proposés aux enfants et dont la magie reste intacte, ou la soirée poésie pour les 60 ans des Editions Caractères : une lecture accompagnée au violoncelle par Rémy Seguin.
Au coeur de tous ces échanges passionnants : le livre bien sûr. Tout au long du Salon, il s'est affirmé comme un puissant vecteur de découverte, de compréhension, d'ouverture sur le monde et de partage intergénérationnel.
Au cours de ce Salon j'ai eu le plaisir d'animer plusieurs débats
"La Famille au quotidien" avec
Marie-Rose Moro : Psychiatre pour enfants et adolescents, psychanalyste. Chef de Service à le Maison des Adolescents de l'Hôpital Cochin à Paris et à l'Hôpital Avicenne de Bobigny. Spécialiste de la transculturalité et de l'ethnopsychanalyse. Auteur notamment de Nos enfants demain, pour une société multiculturelle (Editions Odile Jacob). Voir ICI son site officiel.
Cécile Slanka : Ecrivain et auteur notamment de Conduite en état de grossesse (Editions Liana Levy), petit ouvrage savoureux, qui recueille mois par mois les pensées d'une femme enceinte au cours de sa grossesse. Philippe Bilger : Il fut jusqu'en octobre dernier et pendant vingt ans, Avocat Général à la Cour d'Assises de Paris. Il est désormais Magistrat honoraire, président de l'Institut de la Parole et Conseiller dans un Cabinet d'Avocats parisien. Son dernier livre : 20 minutes pour la mort, Robert Brasillach, le procès expédié (Editions du Rocher). Voir ICI son blog, Justice au Singulier.
Lors de ce débat, nos trois intervenants issus d'univers très différents se sont exprimés sur ce qui fait le lien familial aujourd'hui. Marie-Rose Moro qui a développé des consultations transculturelles explique que "la parenté n'est pas seulement biologique mais culturelle". Elle considère la diversité qui caractérise la famille aujourd'hui (à l'image de la société) comme une vraie richesse. A condition d'éviter "la tentation normative de vouloir définir un modèle unique quand les situations sont plurielles". Elle ne constate pas dans son quotidien de médecin, de "faillite de l'éducation" ou de "démission des parents" comme on en parle si souvent.
Philippe Bilger a souhaité nuancer ses propos en portant sur notre société un regard moins optimiste. mais toujours très concerné. Son expérience de la Cour d'Assises le porte naturellement à une vision différente concernant l'éducation, de celle d'une soignante exerçant en milieu hospitalier.
Cécile Slanka a apporté au débat sa sensibilité d'écrivain et son humour percutant sur ces questions familiales. Elle nous a également fait partager des réflexions issues de son expérience personnelle.
Tous les trois se sont accordés sur la complexité du rôle de parents souvent démunis et sous pression : "De toute façon, on aura beau être patients, vigilants, affectueux, on aura beau se tenir informés, se montrer curieux, ouverts, attentionnés, y mettre la meilleure volonté du monde et tout l'amour possible... on ne pourra jamais être des parents parfaits..." (Cécile Slanka).
Marie-Rose Moro a souligné la solitude dans laquelle elle était encore frappée de voir certaines familles. Dans la salle, une dame a eu le courage de prendre la parole pour en témoigner.
"De famille, je vous hais" à "famille, je vous aime" avec
Claude Halmos : Psychanalyste formée par Françoise Dolto et Jacques Lacan. Spécialiste reconnue de l'enfance. Auteur notamment de Grandir, les étapes de la construction de l'enfant, le rôle des parents (Editions Odile Jacob)
Elisabeth Brami: Marraine de ce 25ème Salon de Creil, psychologue et auteur de plusieurs dizaines d'ouvrages tant pour les tous-petits que pour les adultes. Son dernier roman de littérature générale s'intitule Les Heures Secrètes (Editions du Seuil)
Nelly Alard : Comédienne et scénariste. Son premier roman Le Crieur de Nuit (Editions Gallimard) s'inspire de son histoire familiale difficile.
[Valentine Goby (Banquises, aux Editions Albin Michel) et Raphaël Enthoven (Le Philosophe de service et autres textes, aux Editions Gallimard) étaient initialement prévus sur ce débat, mais n'ont pas pu se libérer.]
Si la famille est le premier lieu de socialisation pour l'individu, celui du nécessaire apprentissage du "vivre ensemble", elle peut aussi dans certains cas malheureux, être une entrave au bon développement de l'enfant.
C'est le cas dans Le Crieur de Nuit de Nelly Alard, un roman poignant dans lequel elle nous fait partager une enfance difficile soumise à la tyrannie d'un père odieux "Tu ne nous as jamais frappés, mais tu m'as appris la peur, le doute, la sensation au fond de moi que tout se désagrège et s'effrite."
Dans son ouvrage, Sophie, mariée et heureuse maman de deux enfants, retourne dans le Nord-Finistère pour l'enterrement de son père. Elle va enfin pouvoir lui dire ce qu'elle a toujours passé sous silence. A la manière de Kafka dans sa bouleversante Lettre au Père (écrite en novembre 1919 par Franz Kafka alors âgé de 36 ans, et qui n'a jamais été envoyée à son père. Elle fut publiée intégralement en 1953).
Concernant la tyrannie domestique, Claude Halmos, spécialiste de l'enfance et de la maltraitance, a donné des explications. Si poser des limites aux enfants, dans le respect de leur personne, est absolument nécessaire, "l'éducation n'est pas du dressage". Il ne faut pas confondre "avoir de l'autorité" et "être autoritaire".
Obliger un enfant à porter un imperméable quand il pleut, c'est faire preuve d'une autorité bien fondée. L'obliger à porter l'imperméable vert qu'il déteste alors qu'il en possède un bleu, c'est de l'autoritarisme. Si l'enfant ne respecte pas des règles qui lui ont été expliquées, et auxquelles les parents montrent qu'ils sont eux-mêmes soumis, la punition devient nécessaire. L'amour est indispensable à la construction de l'enfant. Oui mais, l'amour seul ne suffit pas. Il doit s'accompagner d'une éducation, respecter le tabou de l'inceste et ne pas nuire non plus, au développement de l'enfant.
Dans Les Heures Secrètes, Elisabeth Brami nous plonge dans l'intimité de Pierre, libraire de 72 ans devenu brusquement veuf. Il a peu de liens avec ses enfants, n'est pas très satisfait de sa vie. Son rayon de soleil, c'est Léa, sa belle-mère de 94 ans à laquelle il rend visite à Rouen dans une maison de retraite.
Pierre traverse une période difficile. Il porte la culpabilité de la mort de sa femme, essaie vainement d'écrire un roman, peine encore à s'accommoder de l'amour étouffant d'une mère pourtant décédée. "N'est-il pas aussi un ancien petit garçon adulé par sa mère et coupable de lui avoir survécu, coupable de ne pas lui avoir rendu autant d'amour ?"
Lors de ce débat il est apparu nécessaire que sur la souffrance, la parole puisse être un jour libérée. Certaines personnes seront toujours sourdes et incapables d'évoluer, mais la formulation des difficultés familiales par ceux qui en sont victimes, est un premier pas vers la guérison.
Il n'est jamais trop tard pour surmonter un traumatisme. L'héroïne de Nelly Alard (Nelly elle-même, qui a pu être heureuse et fonder une famille) en témoigne : "C'est bon Papa. J'ai mis le temps, mais ça va. Je suis guérie de toi." Le Pierre d'Elisabeth Brami nous prouve également qu'il est possible de se connaître et d'aller mieux à tout âge.
Sur la compulsion de répétition (phénomène décrit par Freud qui consiste à reproduire des scénarios douloureux de génération en génération), Claude Halmos rappelle qu'il n'y a pas de fatalité. Au lieu de transmettre à nos enfants les "valises" qui nous viennent de nos parents, il faut être capable de les porter et de se libérer de son passé afin d'en libérer sa descendance.
"Familles, je vous hais ! disait Gide (qui pourtant en fit une). Disons plus simplement, à deux lettres près : Familles, je vous ai." Hervé Bazin (Ce que je crois)
L'apéritif littéraire
Durant ce moment convivial que j'ai eu le plaisir d'animer au coeur du salon, une vingtaine d'auteurs sont venus à mes côtés présenter leurs nouveautés. De la littérature pour adultes à la bande dessinée en passant par la littérature jeunesse, un échange reflétant la diversité des auteurs et des ouvrages présents sur le salon.
Cliquez ICI pour lire les dédicaces de quelques-uns des auteurs présents
La Faïencerie
Allée Nelson 60100 CREIL
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