200 pages
Illustrations de Dominique Scaglia
Editions Librairie du Labyrinthe
ISBN 978-2-918397-06-9.
édité en 2011 - prix : 15 €
Quatrième de couverture : "Un recueil de douze nouvelles bilingues français/picard, où des bandes de quartier s'affrontent dans un West Side Story à la sauce picarde, où des bossus apparaissent un soir couleur fuschia, où les trains s'ébranlent pour des destinations secrètes. Des nouvelles où les amours de jeunesse partent en fumée, où les horloges se mettent en grève, où les hommes et les femmes se frôlent et se déchirent, s'allient où se heurtent, se mentent, se trompent, s'étreignent et se lassent, en un mot, vivent les passions de toujours, dans les décors d'ici."
Conteur, Jean-Marie François a déjà publié des recueils de contes traditionnels. Il nous livre aujourd'hui douze nouvelles contemporaines qu'il a créées en picard, dans un ouvrage bilingue picard-français. Douze nouvelles plutôt sombres dans lesquelles on sent poindre partout ses qualités de raconteur d'histoires.
Dans ses nouvelles, on rencontre des gens simples, des vies rudes et plutôt silencieuses. Des personnages cabossés comme Ida, la bouilleuse de cru dont les yeux divergent, ou Sandrine qui souffre tant, en haut de la falaise... On y rencontre des couples qui se déchirent franchement ou qui ont juste du mal à vivre encore ensemble.
On y voit s'éloigner des trains aux destinations mystérieuses, qui emportent à leur bord des rêves contenus ou des envies d'ailleurs. On y trouve un grenier qui enferme d'éternels souvenirs, un essaim de guêpes revanchard, des horloges qui s'arrêtent et laissent le temps au temps. On y sourit, on s'y émeut, on est touché par la poésie qui affleure ici ou là, renforcée par les dessins au fusain de Dominique Scaglia (voir aussi ses illustrations de Grand René et le Brochet Fabuleux).
"Deux troés gins iz avoait't déchindu, pressès, deux troés eutes iz avoait't montè, trimpès. Parson.ne i n'disoait mie rien. Chés gins d'ichi, à msure, i sait'té leu taire. Aveuc chés lordés nuèes pindues audsu d'és tête, o prind l'habitude d'erbéyer ses queuchures, putôt qu'éch temps." (Pèr éch train)
"Deux ou trois voyageurs étaient descendus, pressés, deux ou trois autres étaient montés, trempés. Personne ne disait mot. Les gens d'ici, souvent, savent se taire. Avec les lourdes nuées pendues au-dessus de leur tête, ils prennent l'habitude de regarder leurs souliers plutôt que les étoiles." (Par le train)
Dans la nouvelle éponyme du recueil, Rindi-Rindo, Jean-Marie François nous emmène à Abbeville où Les Nonains, ruisseau affluent de la Somme, sépare les quartiers de Rouvroy et Mautort. A une époque où l'on ne se mélange pas, et où chaque chef de bande veille jalousement sur son territoire... et sur sa fiancée. Rindi règne sur Mautort, Rindo vient de Rouvroy.
Pour les beaux yeux de Nénette, la dulcinée peu farouche de Rindi, la situation va vite s'envenimer entre les bandes rivales. Par une nuit glaciale, la légèreté de celle-ci va mettre le feu aux poudres. Un combat pour l'amour et pour l'honneur : "rindi, rindo, du brin d'vaque, ch'est du bouzo". Comprenez : "oeil pour oeil, dent pour dent" !
Jean-Marie François revendique l'influence dans son style, d'une littérature anglaise ou américaine qu'il apprécie particulièrement. Il donne à ressentir les atmosphères, il les rend palpables à son lecteur. Le Picard y sera comme chez lui, forcément. Il se retrouvera dans ce pays "plat, gris, froid" que la pauvre Maria a tant de mal à adopter (Adè !).
"El lin-nmain, éch temps il avoait cangè. Ech vint d'avo il o racachè chés nuèes pi chés pleuves. A tchéyoait comme vaque qui piche. Inne hérèe d'tcheute, i n'in réqueuffoait inne eute. Chu harnu il avoait findu in deux. Chés camps iz étoait't in yeuès. Din chés cmins, chés voéyettes, tout partoute, chés roéyons i s'dédradjoait't." (Ch'combot)
"Le lendemain, le temps avait changé. Le vent du sud-ouest avait charrié les nuées et les pluies. Il tombait des hallebardes. Une averse était-elle tombée, une autre se préparait. La foudre s'était abattue sur le gros chêne tors au milieu de la place, et l'avait fendu en deux. Les champs étaient trempés. Dans les chemins, les sentiers, sur les talus, partout, l'eau liquéfiait la terre. " (Le Combat)
La mise en page de l'ouvrage (sur les pages de gauche : le picard, et symétriquement sur celles de droite : le français) permet un passage facile de l'une à l'autre langue. Si vous n'êtes pas picardisant, vous aurez malgré tout plaisir, en lisant le texte français, à accéder directement à son équivalent picard.
"El goutte à Ida, al mile din l'tchoeur d'échti qui ll'o invalèe. Ch'est inne litcheur éd fu, éq tout d'un coeup al rinville tous chés émouvures muchèes din chés avanteurs éd chés panches pi d'chés chérvélles, chés ramintuvances pardues, acouvetèes din chés troubes éd chés consciènches" (Ch'combot)
"La goutte d'Ida luit dans le coeur de celui qui la boit. C'est une liqueur de feu, qui tout à coup réveille des ventres et des cerveaux, les souvenances enfouies dans les tourbes des consciences" (Le Combat)
Cet ouvrage vous fera découvrir des expressions savoureuses ("point d'quoè fouailler un cot aveuc inne cachoére à mouques" "pas de quoi fouetter un chat avec une tapette à mouches"), des formules qui font mouche, décidément ("quante oz o sin tchoeur porri, i feut avoér él courage d'ès langue !" "Quand on a le coeur pourri, il faut avoir le courage de sa langue") et qui révèlent à la fois la vitalité du picard et la richesse de son vocabulaire.
Le lexique en fin de livre est agréable à parcourir. On apprend que le mot "ciel" se dit "temps" en picard, que "regarder" se dit "rziuter" et "tromper", "berlurer". Les "brins d'judos" sont des "taches de rousseur" et les "passe-pierres", des "salicornes", qui donnent d'ailleurs leur nom à l'une des douze nouvelles. Le Picard est une vraie langue menacée de disparition. Rindi-Rindo est un bon plaidoyer pour sa survie.
Rappel : le picard - comme le français - est une langue gallo-romane appartenant à l'ensemble des langues d'oïl parlées dans la France du nord (par contraste avec les langues d'oc parlées au sud). Il est issu du latin amené par les légions romaines, au même titre que le français. Sa zone de diffusion commence au nord de Paris pour s'étendre jusqu'au sud de Bruxelles. Il a été supplanté par le français, institué langue du droit et de l'administration en 1539 par l’ordonnance de Villers-Cotterêts signée par François Ier.
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« Ecriveu » et « diseu » depuis une trentaine d'années, l'Abbevillois Jean-Marie François se veut, par la plume et la parole, un « représentant » en picard, et un colporteur d'histoires. (L'agence pour le Picard)
37 rue du Hocquet 80000 Amiens
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