Vendredi 14 juin 2013, j'ai eu le plaisir d'animer la rencontre avec François-Henri Désérable à la librairie Martelle d'Amiens. Hockeyeur professionnel dans l'équipe des Vipers de Montpellier et doctorant en Droit, le jeune homme de 26 ans (originaire d'Amiens) publie son premier ouvrage dans la prestigieuse collection Blanche de Gallimard : Tu montreras ma tête au peuple.
Ce livre inclassable est un recueil de dix textes qui tous se situent pendant la Révolution française, et qui tous s'intéressent à des personnages célèbres cheminant vers la mort, par guillotine le plus souvent.
En 2012, François-Henri Désérable est arrivé 3e du Prix du jeune écrivain de langue française avec un texte intitulé Clic ! Clac ! Boum !. Cette histoire sur les dernières heures de Danton est présente dans le recueil auquel elle donne son titre.
Le bon mot du député montagnard à son bourreau : "Tu montreras ma tête au peuple, elle en vaut la peine" a été l'élément déclencheur pour François-Henri. Il s'est demandé comment on mourait pendant la Terreur (10 mars 1793 - 27 juillet 1794), cette "grande frénésie de la décollation". Car si toutes les têtes finissaient dans le même panier, les condamnés n'ont pas tous eu la même tenue devant "le rasoir national".
Le livre repose (à un texte près : Lantenac à la Conciergerie, qui fait intervenir les personnages de Victor Hugo, Anatole France, Alexandre Dumas et Pierre Michon) sur des événements historiques. La grande histoire côtoyant la petite dans un ensemble passionnant. Il faut dire que l'auteur a eu l'idée brillante de varier les points de vue et les formes narratives tout au long du recueil.
Ainsi, on accède tantôt au journal du gardien de prison de Marie-Antoinette, à la lettre-testament d'un député prussien épris de Charlotte Corday, aux pensées de Danton en route vers la guillotine... Autant d'histoires qui se complètent au fur et à mesure de la lecture, à la manière d'un puzzle, préservant à coup sûr de l'ennui.
Les anecdotes foisonnent : la reine s'excusant auprès du bourreau de lui avoir marché sur le pied avant son exécution, les 21 députés girondins chantant d'une seule voix La Marseillaise... jusqu'à ce que leur chœur patriote ne s'éteigne avec le dernier mort, les mots du poète André Chénier sur l'échafaud, désignant sa tête : "C'est dommage, il y avait quelque chose là !". Que de personnalités fascinantes retrouve-t-on dans ce recueil ! Condamnée à mort, Marie-Antoinette gagne une "épaisseur" qu'elle n'a jamais eue en tant que reine plutôt frivole. Danton aussi, le jouisseur antithèse d'un Robespierre austère et prônant la vertu, auquel on fait payer ses manières bien plus que ses idées...
La Révolution française est une période d'accélération de l'histoire stupéfiante : "Depuis un millénaire, l'histoire de France était restée figée : les fils de roi devenaient rois, ceux des seigneurs devenaient seigneurs, ceux des domestiques et des vassaux, s'ils ne mouraient pas en bas âge, domestiques et vassaux. Et voilà qu'en à peine quelques mois, las de se courber sous le joug seigneurial vers un sol dont il ne goûtait pas les fruits, le peuple avait relevé la tête et découvert les vertus de l'égalité." Ensuite bien sûr, la France va tâtonner, les régimes se faire et se défaire dans la confusion avant que ne s'installe pour de bon la république.
Mais la période révolutionnaire a changé la face du pays. Pas à n'importe quel prix, nous rappelle François-Henri Désérable. Son ouvrage pointe le gâchis qu'ont été la Terreur et ses parodies de justice. Des esprits jeunes, talentueux, brillants, ont péri en moins de temps qu'il n'a fallu pour le dire. Entre 16 000 et 18 000 guillotinés, dont 2 918 à Paris par le seul Charles-Henri Sanson (de la fameuse lignée de bourreaux auxquels est consacré un chapitre).
Déjà âgé de 50 ans, le savant Lavoisier, père de la chimie moderne, fut ainsi sacrifié en tant que Fermier général. Demandant un sursis pour finir l'une de ses expériences, il s'entendit répondre par Jean-Baptiste Coffinhal, président du Tribunal révolutionnaire : "La République n'a pas besoin de savants ni de chimistes". Terrible, en effet.
Tu montreras ma tête au peuple nous offre une plongée captivante dans ces temps troublés, à la rencontre d'orateurs exceptionnels dont la verve a soutenu l'élan révolutionnaire ("puisque le Verbe est en Dieu, puisque le Verbe est Dieu, c'est par la force du Verbe que l'Homme se hisserait à la hauteur de Dieu..."). On y rencontre (souvent) une Charlotte Corday semblant sortie tout droit d'une tragédie de Corneille (dont elle était la descendante), des poètes magnifiques, des peintres figeant pour l'éternité certaines scènes de l'histoire (qui d'autre le pouvait avant l'avènement de la photographie ?)...
Le livre restitue cette époque et son langage avec brio. François-Henri Désérable a beaucoup lu, cela se sent. Mais un bon lecteur ne suffit pas à faire un écrivain de talent. Il a "digéré" remarquablement la centaine de livres étudiés sur le sujet. Imprégné de culture littéraire, il a du style et de l'idée, et sait parler de ce qu'il écrit. En cours d'élaboration, son prochain livre s'intéressera à Évariste Galois (1811-1832), mathématicien français tué au cours d'un duel... un autre génie fauché en pleine jeunesse.
"Appelez-moi fou, mais le peuple ne veut ni la liberté ni la République. Il veut du pain. Ce n'est pas la lecture du Contrat social ou de L'Esprit des lois qui l'a fait prendre les armes et la Bastille, abolir les privilèges, décapiter le roi. Ce sont les borborygmes du ventre vide, les lèvres sèches qui, la nuit, mastiquent une nourriture n'existant qu'en rêve, le tintement de la fourchette sur l'assiette à peine commencée et déjà terminée. Vient un jour où le vieux paysan, lampant bruyamment chaque cuillerée de sa soupe brûlante, où la mère, les yeux écarquillés sur la faim de ses enfants, où les fils, qui vont faucher à jeun les blés que la taille, la gabelle et la dîme leur prendront, s'unissent pour crier ensemble leur misère. Alors plus rien ne peut leur résister. C'est ainsi, Monsieur, que naissent les révolutions."
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