Le dernier des quatre tomes de la série Femmes en résistance (Ed. Casterman) scénarisée par Régis Hautière et Francis Laboutique, sur une idée originale de l'historienne de l'art Emmanuelle Polack, est parue le 23 mars 2016. À cette occasion, le Mémorial de la Shoah propose à Paris une exposition éponyme visant à "rendre hommage aux résistantes juives et saluer la vivacité de la création graphique et éditoriale de la bande dessinée historique".
Après un premier opus dédié à l'aviatrice anglaise Amy Johnson (Cf. article ICI), la série s'est attardée sur les personnalités de Sophie Scholl et de Berty Albrecht. Dans le dernier tome, dont le picard Olivier Frasier signe le dessin, c'est Mila Racine qui est à l'honneur.
Née à Moscou en 1919, Mila s'installe en France avec sa famille qui a fui le régime soviétique vers 1922. Quand la guerre éclate, elle devient assistante sociale dans les camps d'internement du sud de la France. Elle organise peu à peu le placement des enfants juifs dans des familles d'accueil pour leur éviter la déportation.
Après les grandes rafles de l'été 42, elle rejoint Saint-Gervais-le-Fayet, en Haute-Savoie, où elle devient responsable de section d'une organisation juive de résistance. Désormais, il faut mettre les enfants à l'abri hors de France. Elle s'occupe donc de leur faire passer la frontière franco- suisse.
Le 21 octobre 1943, Mila est arrêtée avec le convoi de clandestins qu'elle escortait. Elle dissimule son identité juive et prétend s'appeler Marie-Anne Richemond. Elle est envoyée au Camp de Royallieu à Compiègne, puis à Ravensbrück où elle continue à se dévouer pour les autres. Elle perd la vie le 20 mars 1945 lors d'un bombardement des alliés. Son action, et celle de son réseau, ont permis le sauvetage de 234 enfants juifs.
Dans cet ultime volume de Femmes en résistance, l'histoire de l'espionne allemande Anna Müller, personnage fictif qui crée un lien narratif entre les quatre héroïnes de la série, trouve aussi son épilogue. Les pièces du puzzle s'assemblent et l'on comprend son lien avec la narratrice, Claire Guissart. Le dessin réaliste d'Olivier Frasier et la précision de son trait s'accordent avec le genre historique de l'album. Le découpage des planches, les points de vue choisis, les visages expressifs, soulignent l'intensité des heures terribles vécues par Mila Racine.
Visible jusqu'au 30 septembre 2016 - et gratuite, comme l'ensemble du musée - l'exposition du Mémorial de la Shoah s'attache à montrer quel rôle important et longtemps occulté ont joué les femmes dans la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale ; leur mobilisation sans précédent contre la barbarie nazie.
À travers des planches originales de la bande dessinée, des objets, documents d'archives ou articles de presse concernant les quatre héroïnes et quelque quatre-vingts femmes engagées, elle renseigne aussi sur la manière dont s'est exprimée la condition féminine en Europe à cette époque.
Au sein des réseaux de résistance, la femme a souvent une mission d'agent de liaison. Comme dans la vie civile, elle occupe rarement les postes les plus prestigieux où on lutte les armes à la main. "Dans leur très grande majorité, les résistantes ont déployé une activité ne supposant ni clandestinité, ni même rupture apparente avec les attendus liés à l’identité de sexe."
Lorsqu'elles sont arrêtées, les résistantes peuvent être condamnées à la prison à perpétuité, exécutées en Allemagnes ou déportées. Entre 1940 et 1944, environ 6 700 femmes sont déportées depuis les territoires occupés et près de 2 200 depuis les territoires annexés d'Alsace et Lorraine, essentiellement pour des faits de résistance. Le premier transport direct de femmes en direction d'Auschwitz est composé, le 23 janvier 1943, de 230 femmes souvent communistes. Le 31 janvier 1944, le convoi de Mila Racine qui emmène 959 femmes, est le plus important sous l'Occupation.
Le chemin fut long avant que la postérité considère que les femmes ont aussi largement risqué leur vie et accompli des actes héroïques pendant la guerre. D'autant plus héroïques que certaines, avec leurs familles, étaient aussi pourchassées parce qu'elles étaient juives. La série publiée chez Casterman, ainsi que l'exposition proposée par le Mémorial, contribuent à mettre en lumière ces femmes que la mémoire collective a souvent oubliées. Et dont le sacrifice mérite d'être enfin reconnu à sa juste valeur.
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