Le salon de littérature jeunesse Lire c'est du délice ! organisé par l'association MIEL (Méditation Insertion Éducation par le Livre) fêtait ses dix ans du 2 au 6 novembre 2016 au Pôle universitaire cathédrale d'Amiens, dans un climat beaucoup plus léger que celui, post-attentats, qui avait pesé sur l'édition 2015. La manifestation a attiré au total plus de 7550 visiteurs, parmi lesquels un nombre important de scolaires puisque la directrice de MIEL, Romy Levert, multiplie les actions à leur intention tout au long de l'année.
C'est ainsi que 41 classes maternelles (1148 enfants), 14 classes de collèges et lycées de la région (305 élèves) et une classe de Maison Familiale Rurale (9 élèves), ont pu accueillir un auteur ou un illustrateur (Laëtitia Le Saux, Hélène Lasserre, Gilles Bonotaux, Magdalena Guirao-Jullien, Christine Davenier...) sur ½ journée ou une journée entière. Rappelons que ces rencontres, lorsque les élèves ont été préparés - et Romy Levert est intervenue en amont à 145 reprises dans l'ensemble des classes - sont des moments forts qui peuvent provoquer des "déclics" chez les jeunes et modifier favorablement leur rapport au livre.
L'inauguration du salon, jeudi 3 novembre 2016, coïncidait avec la remise officielle des trois livres réalisés par les élèves de cinq établissements ayant reçu des auteurs dans le cadre des projets éducatifs conduits par MIEL. Émile Jadoul, Catherine Pineur, Charlotte Roederer et Sébastien Pelon étaient présents pour distribuer aux élèves les ouvrages nés de leurs échanges : un moment de fierté et de partage très apprécié des enfants et de leurs familles.
Pendant le week-end, ce sont une vingtaine d'auteurs et illustrateurs que le public a pu rencontrer sur le salon qui proposait aussi des expositions, des ateliers, des projections et le spectacle Patchwork Nomade par Isabelle Tasson de la compagnie Instinct Tubulaire. Les gagnants des deux concours d'écriture proposés par MIEL (Création poétique du CM1 à la 3e sur le thème "Invitation aux voyages..." et Critique littéraire d'un livre choisi dans la sélection proposée pour les 4e et 3e) se sont vus remettre leurs prix : lots de livres dédicacés et autres friandises.
J'ai eu cette année le plaisir de faire partie du jury présidé par Marie-Hélène Delval. Notre choix n'a pas été facile tant nous avons été touchés par certains textes, témoignant chez plusieurs enfants d'expériences de vie déjà fortes (migrations, déracinement, séparation...) et d'une grande sensibilité.
Au cours du salon, vendredi et samedi, j'ai eu le plaisir d'animer trois tables rondes. La première sur le thème de "La traduction dans les ouvrages de la littérature jeunesse" en compagnie de Marie-Hélène Delval, Nathalie Zimmermann et Naïma M. Zimmermann. L'occasion de rappeler que le traducteur a un statut d'auteur à part entière en France et qu'en littérature jeunesse, un titre sur six est un livre traduit (source SGDL). La France est d'ailleurs le premier pays traducteur au monde.
Nos trois invitées nous ont expliqué, souvent avec beaucoup d'humour, la manière dont elles pratiquent cette activité qui complète l'écriture de leurs propres ouvrages. La traduction est évidemment une discipline artistique qui ne se limite pas à la transcription d'une langue dans une autre langue. Tout l'enjeu consiste à proposer une interprétation du texte original qui soit à la fois fidèle et accessible aux jeunes lecteurs d'une culture différente. Le traducteur a véritablement un rôle de passeur d'œuvres littéraires, mais il doit s'adapter aux exigences de son éditeur, à certaines frilosités, aux délais impartis, aux lois du marketing... Cette profession est un maillon indispensable de la chaîne du livre qui mériterait d'être davantage connu et valorisé.
La deuxième table ronde s'intitulait "Soulager les maux par les mots" avec l'auteur-illustratrice Claude K. Dubois, lauréate en 2014 du prestigieux Deutscher Jugendliteraturpreis à la Foire du Livre de Francfort avec Akim court (Ed. L'École des loisirs), et Éric Englebert, auteur et médecin près de Liège, en Belgique. Ensemble, ils ont notamment publié la série "Les petits bobos de la vie" aux éditions Grasset jeunesse : 14 livres parus entre 2005 et 2010, conseillés pour les enfants dès l'âge de sept ans.
Dans ces ouvrages, les textes courts sont écrits par le docteur habitué à écouter les enfants et à raconter des histoires en prise avec leur quotidien, sur des thèmes tels que la différence, la culpabilité, la séparation, la maladie. Il ne s'agit pas de fournir une solution prête-à-l'emploi pour chaque situation difficile. Le propos est plutôt de dédramatiser des problématiques courantes qui, à hauteur d'enfant, paraissent souvent insurmontables. L'idée est bien de les aider à trouver leurs propres solutions, ou à mieux vivre les choses qui les tourmentent si aucune solution n'apparaît d'emblée (dans le cas d'une maladie par ex.).
Ces petits livres sont illustrés par Claude K. Dubois avec la douceur qui la caractérise : un crayonné léger mis en couleur à l'aquarelle dans les tons pastels, le trait qui souligne l'émotion, des personnages auxquels les petits peuvent facilement s'identifier. Comme Claude le faisait à leur âge quand elle trouvait refuge dans les livres.
Dans la série "Les petits bobos de la vie", les enfants sont souvent encouragés à s'exprimer. Lorsque la parole se libère, la guérison est déjà en marche. Éric Englebert connaît bien le sujet, il est thérapeute éricksonien, une technique d'hypnose en pleine conscience créée par le psychiatre américain Milton H.Erickson (1901-1980) et qui n'a rien à voir avec l'hypnose de spectacle à la Mesmer ! Oui, il est possible de soulager les maux par les mots, et par la lecture, acte qui porte en lui-même un apaisement.
La dernière table ronde du salon interrogeait sur "La place des revues jeunesse dans l’éducation et l’épanouissement de l’enfant" avec Marie-Hélène Gros-Vidal, responsable éditoriale du magazine Tralalire (Ed. Bayard Presse), et les auteurs Émile Jadoul, Christine Davenier et Marie Hélène Delval. Selon une étude du Syndicat des éditeurs de la presse magazine parue en 2014, sur les 15 millions d’enfants âgés de 1 à 19 ans en France, 70 % lisent la presse jeunesse (maison, école, bibliothèque…). Le secteur totalise plus de neuf millions de lecteurs pour 334 magazines (chiffres 2014). Le groupe Bayard Jeunesse, leader de ce secteur, affiche lui-même six millions de lecteurs pour une trentaine de revues. C'est dire si le phénomène est important.
Marie-Hélène Gros-Vidal et les auteurs ont présenté leur travail autour de Tralalire, magazine mensuel de 52 pages qui s'adresse aux enfants de 2 à 5 ans. Toujours organisé selon le même mode : un sommaire, une grande histoire et plusieurs petites (Lou le loup, Atchoum Tchà, Turlututu), un rituel de "bonne nuit" pour finir en douceur et des héros récurrents comme Jean-Louis, l'éléphant d'Émile Jadoul ou Petite-Chérie de Christine Davenier.
Éditeur et auteurs travaillent en collaboration étroite afin de proposer une revue de qualité qui soit adaptée à son public en termes de vocabulaire, de concentration, de préoccupations liées à la vie quotidienne et à ses rituels, sans pour autant renoncer à lui faire découvrir le monde. Tralalire est destiné aux enfants qui ne savent pas encore lire. Il y a donc une réflexion à mettre en œuvre sur l'oralisation des histoires, le rythme, les sonorités, la lisibilité des dessins et des textes... pour que personne ne s'ennuie ou ne perde le fil de l'action. Bayard presse s'entoure de professionnels de l'enfance pour l'élaboration de ses contenus.
La presse avec laquelle les jeunes - et les moins jeunes - ont une relation souvent affective (la joie inoubliable de trouver un J'aime Lire ou un Astrapi à son nom dans la boîte aux lettres !) est aussi une formidable porte d'entrée vers la lecture. Moins "intimidantes" que le livre pour les publics qui en sont éloignés, les revues peuvent accompagner le développement de l'enfant et offrir de beaux moments de partage en famille. Tout comme les salons de l'association MIEL qui confirment, année après année, que Lire c'est vraiment du délice.
www.mielasso.com 03 22 72 00 33 - 06 26 92 57 05 miel.association@wanadoo.fr