Samedi 25 mars 2017 était officiellement lancée à Amiens la revue de bande dessinée trimestrielle picarde Pierre papier chicon portée par David François, auteur et coloriste confirmé (voir De briques et de sang, La Guerre des Lulus, Un homme de joie aux Ed. Casterman) et David Périmony, ancien étudiant du diplôme universitaire "Création de bande dessinée" de l'UPJV, auteur investi dans l'association La hutte du déhu qui publie notamment La niche du déhu.
Après une séance de dédicaces à la librairie du Labyrinthe près de la cathédrale, rendez-vous était donné au Théâtre de marionnettes Chés cabotans d'Amiens pour une autre signature animée par l'équipe du théâtre qui présentait ses personnages vedettes, Lafleur en tête. Il faut dire que c'est lui qui s'affiche sur la couverture du premier Pierre papier chicon : "Pierre pour le crayon, Papier pour la feuille à dessin et Chicon pour son ancrage régional !"
Le numéro 1 de la revue tiré à 1500 exemplaires s'ouvre sur un premier article signé Philippe Leleux (librairie-éditeur-militant-de-la-librairie-du-Labyrinthe-en-Picardie) qui annonce immédiatement la couleur. Le texte "Qui ch'est ch'ti-lòl ? Oui, qui est Lafleur ?" offre une alchimie réussie entre histoire, portée symbolique de la marionnette et regard passionné du rédacteur. Un bel hommage au héros populaire à tringle et à fils qui était déjà au centre de son ouvrage paru en 2010 : Jean-Pierre Facquier sculpteur et la marionnette Lafleur (Ed. Librairie du Labyrinthe).
David François propose ensuite "Ch'Lafleur : Éne fricassée pour Papa Tchutchu", une histoire originale en quatorze pages qui met Lafleur en scène. On y retrouve la verve du pantin picardisant au meilleur de sa forme ! Au-delà de sa fameuse devise "Bien matcher, bien boère pis ne rien foaire", Lafleur répond aussi présent lorsqu'il s'agit de faire justice au petit peuple du quartier Saint-Leu. Ça déménage ! Le ton est aussi vif que le dessin. Et David François a toujours l'art de créer des ambiances graphiques intéressantes. Sa double planche consacrée à Notre-Dame d'Amiens vaut le détour. Le challenge était d'autant plus difficile qu'il a repris sur le tard une mission initialement confiée au dessinateur amiénois Fraco, contraint de renoncer pour des raisons de santé.
La revue est divisée en deux parties tête-bêche. Il faut la retourner pour lire "L'envol de Bécassine", l'histoire concoctée par David Périmony. La quatrième de couverture devenant alors la première, les deux récits bénéficient du même traitement. Le jeune auteur picard a réalisé en huit pages une aventure autour de Joseph Porphyre Pinchon (1871-1953), le créateur amiénois de Bécassine quelque peu tombé dans l'oubli (auquel le Centre André François de Margny-lès-Compiègne dans l'Oise, a eu le mérite de consacrer une exposition rétrospective en 2016). La ville d'Amiens (beffroi, cathédrale, gare) sert aussi de décor à cette aventure qui nous donne à voir une Annaike intrépide (future Bécassine) aux commandes d'une drôle de machine volante. On est loin de l'image niaise parfois associée à "la Tchotte Bretonne" dont on comprend désormais la genèse !
Camille Picard - alias Mokamilla - rédactrice du blog Au milieu des livres, propose un complément documentaire bien utile sur le méconnu Pinchon auquel on doit aussi les personnages de Frimousset et Grassouillet. Elle rappelle à juste titre qu'il fut "le discret précurseur de la ligne claire." À la page suivante, dans sa rubrique "Chic... on lit !" (joli titre), Camille fait la critique positive et poétique de Louis parmi les spectres (Ed. La Pastèque), l'album de Fanny Britt et Isabelle Arsenault. Elle a choisi un style qui rappelle celui des chroniques "Moi après mois" de son blog : une suite de propositions séparées par une barre oblique qui font la part belle au feeling.
Soulignons la qualité de "l'objet-revue" (format : 24 x 32 cm - couverture : 350 g - intérieur : 170 g) sorti des presses de l'imprimerie Leclerc à Abbeville, dans la Somme (un choix cohérent eu égard à la dimension résolument régionaliste de la publication). Le public a su réserver samedi un accueil chaleureux à Pierre papier chicon qui avait déjà bénéficié du soutien de 245 contributeurs sur la plateforme Ulule (10530 € collectés sur un objectif de 10000 €). Vendue à 7,50 €, la revue est disponible dans les librairies d'Amiens et plusieurs autres de Picardie, au numéro ou sur abonnement (voir bordereau ci-dessous). Renseignements sur le site pierrepapierchicon.com, la page www.facebook.com/PierrePapierChicon ou à l'adresse revueppc@gmail.com.
Les fondateurs de la revue établissent un parallèle entre leur initiative et le mensuel de BD Les rues de Lyon crée par L'épicerie séquentielle, et également financé via Ulule. Il a commencé à paraître en juin 2015 lors de la 10e édition du Lyon BD festival. Souhaitons-leur le même succès. La dynamique BD existe bien "par chez nous", en termes de création comme de lectorat. Elle est portée notamment par l'association On a marché sur la Bulle et ses Rendez-vous de la bande dessinée d'Amiens. L'attachement vivace de la population à la Picardie, qui a perdu tout récemment son statut de région administrative en intégrant les Hauts de France, devrait renforcer l'intérêt pour cette revue de création à vocation patrimoniale.