Delphine Roux était présente au Salon de littérature jeunesse Lire c’est du délice les 17 et 18 novembre 2018 à Amiens, dans un décor asiatique qui lui allait à ravir ! Car depuis la parution en 2015 de Bonne nuit Tsuki-san ! (Ed. Philippe Picquier), son premier album en duo avec l’illustratrice Pascale Moteki, toute la bibliographie de l’Amiénoise témoigne de sa passion pour le Japon. C’est là-bas qu’elle a choisi de situer son roman, [Kokoro] (Ed. Philippe Picquier), paru la même année et réédité en 2018 dans une belle version illustrée par QU Lan.
Koichi, le narrateur de cette histoire sensible, et sa sœur Seki, ont été foudroyés dans leur enfance par le décès de leurs parents lors d'un incendie. Chacun a affronté le deuil avec ses maigres armes et le temps a passé. Koichi a grandi chez sa grand-mère bien-aimée, désormais placée dans une institution. Il n’a pas fait d’études. Employé dans une bibliothèque dont il n’ouvre aucun livre, il est resté comme absent à la vie.
"Je ne remplis guère mon temps vacant. Le plus souvent, j’observe le monde en proximité. Je n’agis pas sur lui, n’essaie pas de le modifier. Pas l’envie, la volonté de ça. Je laisse aller."
Seki de son côté est devenue "une jeune femme moderne, dans l’écho des titres de magazines, dans la maîtrise du visible." Elle a réussi de brillantes études, voyagé, épousé Hisao avec qui elle a eu deux enfants. Elle est directrice des Ressources humaines à la mairie de la ville. En apparence chez elle, tout est sous contrôle : "corset diaphane à l'abdomen, stalagmites au cœur."
Cultivant le souvenir d’un passé révolu - "je ne serai jamais repu de ce début d’existence, jamais rassasié" - Koichi recherche en vain la douceur évanouie du cocon familial. "Ma grande sœur qui m’aimait comme une mère. Mon inséparable qui me tendait son existence, au risque de tomber ; qui m’aidait à avancer." Que reste-t-il de ses liens avec la jeune femme qui s’est au contraire employée à rompre les amarres, laissant derrière elle "une terre d’enfance désertée […] définitivement, un soir d’hiver" ?
Delphine Roux (elle-même enfant unique), explore avec délicatesse la relation frère-sœur et les voies de résilience après un traumatisme aigu. "J’ai pensé que la mort, le passé n’existaient pas, qu’il y avait des possibles." Dans un style élégant et resserré qui s’accorde à la pudeur des personnages, à leurs silences, elle compose une ode à la vie qui va, précieuse et si fragile. En tête de chaque chapitre, un mot japonais et sa traduction française transportent le lecteur : [yoku, désir], [monogatari, histoire], [hikari, lumière], [kokoro, cœur]…
Les albums jeunesse de Delphine Roux sont touchés par la même grâce que ce roman. En 2018, deux titres sont parus avec la complicité de Pascale Moteki, aussi dessinatrice des objets de décoration de la marque Madame Mo. La balade d’Asami (L’école des loisirs) est consacré à la nature, chère à Delphine qui a grandi à la campagne. D’une couleur à l’autre, la petite Asami en promenade glane de jolis trésors qui feront une guirlande. Dans Un goûter au mont Fuji (Ed. Philippe Picquier), les traditions japonaises sont évoquées du point de vue de l’enfance, à travers des textes courts aux accents poétiques : "Pour chasser démons et grognons / J’ai allumé trois p’tits lampions / Le jardin sourit de lueurs / Et dans la nuit, je n’ai plus peur !"
Le goût des mots s’est enraciné de bonne heure dans le parcours de Delphine Roux. Elle a fait des études de Lettres et de sémiologie, et suivi les ateliers d’écriture de l’écrivain et sociologue Noëlle Châtelet au mythique café Procope (Paris, VIe). Aujourd’hui formatrice, notamment en littérature jeunesse, elle anime aussi des ateliers d’écriture. Son attrait pour la culture nippone - initié dans l’enfance par sa mère - s’est développé au fil de ses lectures, de ses échanges, de voyages au Japon. Bien qu’elle n’en maîtrise pas la langue, elle parvient dans ses textes à en rendre le charme et l’esthétique, distillant dans chacun de ses livres émotion et douceur.