"Shabbat Shalom", le premier tome de la série Les frères Rubinstein (Ed. Delcourt) de Brunschwig (scénario), Le Roux (dessin), Chevallier (dessin) et De Cock (couleur) est paru le 26 août, retardé par la crise sanitaire. Le duo Luc Brunschwig et Étienne Le Roux - déjà réunis sur l’excellente série La mémoire dans les poches (Futuropolis, intégrale publiée en décembre 2019) - était présent pour une séance de dédicaces à la librairie Bulle en Stock d’Amiens le 22 septembre 2020.
Comme Luc Brunschwing en a le talent, il tisse dans ce premier album plusieurs fils narratifs correspondant à trois époques. 1942 : le lecteur fait la connaissance de Moïse, il se trouve dans un convoi de déportés qui roule vers le camp d’extermination de Sobibor, en Pologne. Il a entre les mains une photo sur laquelle on le voit avec son frère, Salomon, près de l’avion qui l’a ramené vers le vieux continent. "La question se pose toujours et de façon toujours plus criante… Qui dans le monde veut encore des juifs ???" 1934 : Californie. Moïse et Salomon sont présentés comme deux imprésarios par Noam Katz qu’ils ont rencontré à Paris, au propriétaire d’un club d’Hollywood, Sam Garfunkel, juif originaire de Hongrie. "Allez, mon garçon, tu vas me raconter quel est le cauchemar que toi et tes amis fuyez…". S’exprimant en Yiddish, Salomon revient sur leur histoire.
1927 : Les frères Rubinstein grandissent avec leurs parents dans une cité minière du Nord de la France. Leur père est tailleur et tient une boutique de confection avec son épouse. Ils ont quitté la Pologne pour la France après leur mariage : "on rêvait que ce pays nous offrirait de meilleures opportunités…". Salomon, l’aîné débrouillard, travaille pour un ingénieur de la mine tandis que Moïse, grâce à ses bons résultats, a été admis en sixième à l’Académie Anatole-Lambertin. Il fait la fierté de la famille. L’école, créée par le défunt patron de la compagnie exploitant la mine (et auquel son fils a succédé) est fréquentée par les enfants des cadres mais chaque année, elle recrute aussi les meilleurs élèves des corons. Reconnaissants, ceux-ci mettront sans doute ensuite "toute leur énergie et toute leur imagination au service des affaires de la famille [Lambertin]". Le 17 juin de cette année-là, jour de shabbat, la vie des Rubinstein bascule.
L’idée des Frères Rubinstein a germé dans l’esprit du scénariste dès 1994. L’histoire est imaginaire mais il s’est inspiré de sa relation avec son propre frère pour développer la psychologie de Salomon et Moïse qui portent d’ailleurs leurs prénoms hébreux. La série est en outre une forme d’hommage à son père dont le frère (Raymond Brunschwig, à qui est dédié ce premier tome), et le père (grand-père de Luc) sont morts à Auschwitz.
Au dessin, la collaboration entre Étienne Le Roux et Loïc Chevallier est bien rodée et très efficace. Comme sur leur série 14-18, scénarisée par Eric Corbeyran (Ed. Delcourt, dix tomes), le premier s’occupe des personnages et de la mise en scène, le second des décors. Chevallier travaille sur la documentation historique afin que les aspects graphiques respectent le contexte de l’époque, et que le récit demeure vraisemblable.
Grande fresque prévue en neuf tomes, Les Frères Rubinstein balaiera la période 1927-1948. Le début de la série est prometteur et cet album tient en haleine de la première à la dernière page. Entremêlant trois époques aux atmosphères et couleurs bien distinctes (bravo Elvire De Cock), il nous donne à voir, déjà, l’ampleur de ce que les frères vont traverser, happés par leurs propres destins et les affres de la grande Histoire. Le deuxième tome, "Le coiffeur de Sobibor" paraîtra le 14 octobre 2020, le troisième "Le Mariage Bensoussan" est annoncé au printemps 2021.