Oriane Jeancourt Galignani était à Amiens jeudi 20 octobre 2022 à l’occasion de la parution de son dernier roman, Quand l’arbre tombe, dans la collection Le Courage que dirige Charles Dantzig aux éditions Grasset. Un ouvrage qui figure parmi les dix livres toujours en lice pour le Prix Femina 2022, et pour le Prix Femina des lycéens. C’est dans ce cadre qu’elle rencontrait les élèves de la classe de seconde du lycée Madeleine Michelis qui participe au prix, avant de se rendre à la librairie du Labyrinthe pour une séance de dédicaces.
Quand l’arbre tombe commence par un appel téléphonique de Paul Persicaire à sa fille, Zélie, pianiste et mère de famille : "Il se passe quelque chose dans le parc, crois-moi, il se passe quelque chose. Il faut que tu viennes." Depuis quelque temps, le vieil homme ne va plus à Paris. Il s’est retranché dans la propriété familiale du Val de Loire, à Chandelle, pour prendre soin de son vaste parc, au bord de la forêt. À 80 ans, bien que leurs relations soient distantes depuis une quinzaine d’années, Paul l’appelle pour lui demander de l’aide car les arbres du parc tombent les uns après les autres, même certains qui sont encore jeunes et bien-portants.
Dès son arrivée, Zélie remarque à quel point le père a changé. Le "monstre-vieillesse" s’est emparé de lui, il perd la vue, et sa mémoire lui joue des tours. Que reste-t-il du lion, brillant fonctionnaire et homme d’affaires parisien ? "Paul ne concevait pas une existence sans travail, un bonheur sans activité utile à la société. Il feignait de ne pas voir, dans son Arcadie, la lame s’activer pour distinguer les battants et les perdants." Zélie va passer sept jours à Chandelle, à travailler dur dans le parc avec son père, pour lutter contre "cette chose informe qui attaque les arbres". Elle se prend à croire que "le temps des filles et des pères" est venu.
Mais c’est le moment où resurgit Luc, le compagnon de son frère Frédéric, atteint de troubles psychiatriques, qui s’est donné la mort quinze ans plus tôt. "La maladie leur avait ravi Frédéric. Mais Luc ne voulait, ne pouvait entendre cela. Il avait besoin d’un coupable, comme les Karamazov d’un père satyre, c’était ainsi, il fallait un guignol affreux et sale qui assumât la catastrophe." Le père et la fille qui n’avaient plus reparlé du drame, emmurés dans leur souffrance, vont devoir y faire face au cours de cette semaine.
Avec Quand l’arbre tombe qu’elle a commencé à écrire à la mort de son père, Oriane Jeancourt Galignani signe un texte remarquable, mélange subtil d’émotion et d’intelligence. À travers le personnage de Paul qui toute sa vie s’est échiné à tenir debout, elle dissèque le moment de la fin toute proche : déclin du corps et de l’esprit, souvenirs qui hantent, conscience qui juge. Entre le père et la fille, beaucoup de temps perdu sans doute, trop de silence, mais est-il jamais trop tard pour prendre soin des siens… et des arbres de nos jardins ?
"Je ne veux pas que tu ne retiennes que les dérives d’un vieux con. Il avait longuement préparé cette phrase, car il la prononça d’un coup, sans hésitation, puis se tut. Mais, rigola-t-elle, c’est parce que tu es un vieux con que je suis là. Un vieux con qui soigne les arbres, obstinément."