Mercredi 18 janvier 2023, Isabelle Marsay présentait son dixième roman à la Librairie Pages d’encre d’Amiens, lors d’une soirée d’échanges et de lectures orchestrée par son amie Christine Najjar Hayek. Dans La fabrique des livres anonymes (Les soleils bleus éditions), Isabelle nous emmène au large des côtes norvégiennes, en compagnie de sept écrivains qui ne se connaissent pas. Betty, Myrtille, Margot, Egon, Théo, Darius et Paul ont répondu à une annonce insolite proposant de s’isoler pendant neuf mois pour écrire un roman, moyennant une somme forfaitaire de cent mille euros. Ils ont franchi toutes les étapes du recrutement avant de s’envoler vers une destination inconnue. Ils rêvaient d’une île paradisiaque mais c’est sur une plateforme pétrolière désaffectée, "leur cathédrale de fer", qu’un hélicoptère les dépose en septembre 2019.
En dehors d’une grande bibliothèque, et du ravitaillement prévu toutes les six semaines, rien ne doit distraire nos auteurs : "pas de reflet, pas de miroir, pas de photo, pas de portable, pas de possibilité de se voir, aucune connexion avec l’extérieur, peu de communication". Ils enregistrent leur travail chaque soir sur un serveur dédié. Sept livres doivent voir le jour au cours de cette expérience, dont ils ne tireront aucune gloire : "Tous les auteurs avaient accepté d’inventer des histoires dont ils seraient ensuite dépossédés, le mystérieux mécène s’arrogeant les droits d’exploitation des œuvres qu’il sélectionnerait et dont il assurerait la promotion en son nom."
Rapidement, la tension monte sur la plateforme que les personnages ont ironiquement baptisée "Notre-Dame". La nuit polaire, éclipse totale du soleil pendant sept semaines, rend leur huis clos difficile. Les enveloppes qu’ils reçoivent au sujet d’une certaine Katia Livanovski ne font qu’accentuer leur trouble, et tous se demandent qui les a réunis, et dans quel but. "Le contrat qu’ils avaient signé était séduisant mais également terrifiant. Comme Mister M. désirait brouiller leurs repères, les éprouver, en les obligeant à se concentrer sur eux et sur l’essentiel."
Dans La fabrique des livres anonymes, Isabelle Marsay nous embarque non seulement dans son histoire principale, le récit-cadre, mais aussi dans celles des livres que les auteurs sont censés écrire : dystopie, thrillers, roman inspiré d’un fait divers, roman intimiste… autant d’univers dans lesquels elle plonge son lecteur.
"Ce qui me plaît, explique-t-elle, c’est de changer de registre, de créer une atmosphère et de chercher le style qui correspond au sujet, la forme adaptée au fond. Comme un exercice de style. Sept personnages, sept histoires, c’était une entreprise ambitieuse. Je me suis dit que cela allait être difficile et finalement, je me suis prise au jeu." Le lieu bien sûr, joue un rôle crucial dans le roman. "La plateforme, c’est le huitième personnage, poursuit Isabelle. Elle est personnifiée, et le fait de forer, puiser dans les sédiments, rappelle le processus d’écriture qui consiste à descendre en soi."
Au-delà de sa structure maîtrisée de roman à tiroirs, et du suspense qui tient en haleine jusque dans les dernières pages, La fabrique des livres anonymes est un hommage à la littérature – les références sont nombreuses - et une réflexion sur l’écriture. Pourquoi écrit-on ? Par nécessité ? Pour soi, ou pour les autres ? Pour aller mieux (la fameuse thérapie) ? Par défi ? Pour le plaisir d’inventer des histoires, de transmette des émotions ? Ne cherchez pas Isabelle Marsay, professeur de Lettres, sous les traits de tel ou tel personnage, elle se sent proche de tous mais d’aucun en particulier. Au fil de l’écriture, ils sont devenus des personnes avec leur autonomie. Jusqu’à lui réserver des surprises… et son roman n’en manque pas.
"Ils étaient tous assignés, neuf mois durant, sur une île de métal d’environ dix-mille mètres carrés, qui ressemblait un peu à la matrice de Matrix, non loin du cercle arctique. Condamnés à entendre un cri de détresse en continu, qui surgissait des entrailles de la mer et qui les renvoyait au tréfonds de leur âme."